Une reproduction de la scène du meurtre de George Floyd dans le vestiaire. Des saluts nazis pour célébrer des buts. Des croix gammées dessinées sur les pupitres. Des références faites à l’idée de « gazer des Juifs ». Des menaces de fouetter un coéquipier noir.

Voilà quelques-uns des faits ignobles reprochés à six hockeyeurs de l’équipe M15 AAA de Gatineau de la saison 2021-2022. Ces évènements sont exposés dans un rapport d’enquête confidentiel produit par l’avocat Jules Bernier pour Hockey Québec. Un document choquant, dont les conclusions ont été révélées jeudi par la journaliste Justine Mercier, du Droit. J’en ai aussi reçu un exemplaire.

Lisez l’article de Justine Mercier

Ce que j’ai lu m’a profondément troublé.

Car au-delà des gestes inacceptables commis par les six adolescents, qui ont intimidé deux de leurs coéquipiers racisés cette saison-là, le rapport met également en relief le comportement des adultes qui les entouraient. À la maison. À l’aréna. À l’école.

Par où commencer ?

Par l’évènement le plus odieux. Une reproduction de la scène du meurtre de George Floyd, cet Afro-Américain mort au bout de son souffle, en 2020, lorsque le policier Derek Chauvin a maintenu un genou sur sa nuque pendant huit minutes. Ça s’est passé dans le vestiaire, avec un joueur noir au plancher. Selon le rapport, « [ça] consiste à prendre la victime par derrière et à la projeter au sol en lui demandant de dire I can’t breathe avant de la relâcher, le tout en prenant soin de fermer la porte du vestiaire pour que cela se fasse à l’insu d’autres personnes ».

Je souligne que pour mener son enquête, MBernier a interviewé 48 personnes, dont 12 joueurs et 29 parents.

« Les auteurs voulaient reproduire ainsi la scène survenue dans le cas de George Floyd aux États-Unis. Ni les dirigeants de Midget AAA Gatineau ni l’école (alors que ce geste a été porté à la connaissance de deux membres du personnel faisant partie du comité ayant fait l’enquête interne) n’ont signalé ce geste particulier, notamment au policier-éducateur associé à l’école », écrit MBernier.

À plusieurs reprises, souligne-t-il, des joueurs ont dit à l’une ou l’autre des victimes d’aller « travailler dans un champ de coton ». À plusieurs occasions, ajoute-t-il, des joueurs ont fait jouer dans le vestiaire les chansons I shoot N***** for fun et I hate a N****. « Un auteur a chanté les chansons en pointant les victimes du doigt. »

Certains jeunes ont employé le mot « esclave » en parlant des victimes, et ont fait semblant de les mettre aux enchères. Des joueurs ont aussi fait des bruits de singe en présence de leurs coéquipiers noirs. En parallèle, MBernier rapporte plusieurs gestes antisémites. Plusieurs fois, des joueurs « ont effectué un salut nazi lorsqu’un but était compté à l’entraînement comme geste de célébration, ainsi que dans les couloirs de l’école ».

En 2021-2022.

Au Québec.

C’est consternant.

Dans son rapport, Jules Bernier ne blâme pas que les adolescents. Il dénonce également l’attitude de certains parents. « Plusieurs parents ont eu tendance à minimiser les effets des gestes et propos racistes sur les victimes, en trouvant normal que cela puisse se produire entre des jeunes de 14 ans qui faisaient partie de la même équipe de hockey ».

Il ajoute : « Les parents ne sont pas suffisamment sensibilisés sur la gravité des conséquences entourant des gestes et propos racistes, alors qu’ils ont un rôle important à jouer en matière d’éducation et de sensibilisation auprès de leurs enfants pour prévenir des actes répréhensibles de cette nature. »

Ce ne sont pas les seuls reproches adressés aux adultes dans l’environnement de l’équipe. Dans un autre chapitre, MBernier se montre très critique envers les dirigeants de Midget AAA Gatineau, le mandataire sportif du club.

Dans les jours suivant les premières dénonciations, pendant la saison 2021-2022, l’association a décidé de procéder à une enquête interne, plutôt que de diriger les plaignants vers un officier indépendant. Selon MBernier, « ça n’a pas été fait dans les règles de l’art ».

« Aucun tiers indépendant ne faisait partie du comité, ce qui laisse planer un doute sur son impartialité et place ses membres dans une situation de conflit d’intérêts apparent », note-t-il. Aussi, le comité n’a pas rencontré une des victimes, sous le prétexte qu’elle avait déjà quitté l’équipe. Or, souligne le rapport, la victime faisait partie de l’équipe « au moment où elle a été l’objet de gestes et de propos racistes. Cette victime a été privée de son droit d’être entendue et de l’opportunité d’exprimer l’impact que ces comportements ont eu sur elle ».

MBernier déplore par ailleurs la façon dont ont été menées les entrevues avec les auteurs des gestes racistes. « Les rencontres [individuelles] d’adolescents de 14 ans, face à trois adultes, étaient en soi suffisamment intimidantes pour qu’on soit en droit de se demander si les aveux obtenus d’eux étaient libres et volontaires, voire s’ils comprenaient bien la portée des actes reprochés. »

« Le fait que le comité considérait qu’il n’était pas nécessaire d’aviser et de rencontrer les parents privait les auteurs du droit à une défense pleine et entière et d’être [soutenus] moralement », ajoute-t-il.

Après avoir reçu ce document, le 7 décembre 2022, Hockey Québec a réagi. La fédération a déposé des plaintes contre trois dirigeants locaux auprès de l’Officier des plaintes. Selon Le Droit, le Comité de protection de l’intégrité (CPI) a partiellement accueilli deux des plaintes. Celle contre Alain Sanscartier, directeur des opérations de Midget AAA Gatineau, pour sa gestion du dossier. Puis celle contre l’entraîneur-chef, Stéphane Bertrand, pour sa négligence dans la gestion des allégations.

Selon le CPI, ils n’étaient pas au courant des gestes avant les dénonciations. Les deux hommes occupent toujours des postes dans la structure des Intrépides de Gatineau.

Dans son rapport, Jules Bernier se montre d’ailleurs étonné que Stéphane Bertrand ait obtenu trois mandats alors qu’il « était toujours sous le coup de sa suspension de Hockey Québec ».

« Compte tenu du rôle essentiel de tout entraîneur-chef et de ses responsabilités envers les jeunes joueurs, il est surprenant que les gestes et propos racistes survenus sur une période de près de six mois envers des jeunes sous sa responsabilité ne soient pas mieux considérés dans l’octroi de responsabilités futures. »

Les six hockeyeurs mis en cause, eux, ont subi diverses suspensions. Radio-Canada a rapporté que trois joueurs ont reçu des sanctions additionnelles en début de saison.

Et les deux victimes ?

Elles ont quitté l’équipe, l’école et le programme sports-études, rapporte MBernier. Une en raison du « manque de prise au sérieux de la situation par les dirigeants ». L’autre, « pour son bien-être personnel ». Un manque cruel d’équité qui nous démontre une fois de plus que dans le sport d’élite, l’intimidation n’est pas suffisamment punie.

Qui fait quoi?

Officier des plaintes

Son rôle est de recevoir les plaintes d’abus, de harcèlement, de négligence ou de violence en vertu de la politique d’intégrité. Aussi, il voit à offrir son soutien au plaignant et à juger de la recevabilité de la plainte.

Comité de protection de l’intégrité

Composé de 3 personnes indépendantes, son rôle est de procéder au traitement de la plainte via une procédure d’audition indépendante et impartiale et d’offrir ses conclusions et recommandations sur la situation.

Ces entités ont été créées en 2020 par le gouvernement du Québec pour permettre aux athlètes victimes d’abus ou de harcèlement de porter plainte auprès d'un organisme indépendant plutôt que de passer par leur fédération.

Consultez le site de Sport'Aide pour plus de détails