Comme départ pour « notre » nouvelle équipe, on aurait souhaité mieux : « Maurice Richard vit un véritable cauchemar », titre Le Soleil, sous la plume du chroniqueur Claude Larochelle.

L’article nous apprend que le Rocket n’éprouve aucune joie à quelques heures du premier match des Nordiques dans l’Association mondiale de hockey (AMH).

« Je me sens serré comme dans un étau, dit l’entraîneur-chef. C’est bien simple, je ne dors plus depuis une semaine. Je me réveille la nuit et je me lève pour arpenter le plancher. C’est terrible ce que je vis présentement. »

Nous sommes le 11 octobre 1972, il y a 50 ans aujourd’hui. Dans quelques heures, les Nordiques affronteront les Crusaders à Cleveland.

Au-delà des inquiétudes du Rocket, c’est un grand jour dans l’histoire sportive de la capitale. Nous sommes enfin représentés dans le sport professionnel majeur. Ce projet absolument fou qu’est l’AMH s’est transformé en réalité.

La puissante LNH devra lutter contre un circuit rival. Qui aurait cru cela possible un an plus tôt ?

J’allais bientôt avoir 13 ans et je me souviens du sentiment de fierté qui m’habitait. Les futurs rivaux des Nordiques n’étaient pas implantés dans de petites villes américaines comme nos anciens As, de la Ligue américaine, mais dans des métropoles : les Raiders de New York, les Sharks de Los Angeles, les Cougars de Chicago… De quoi frapper l’imagination d’un adolescent fou de hockey.

Peut-être faut-il être originaire de Québec pour comprendre la signification de l’arrivée des Nordiques. Nous vivions dans l’ombre de Montréal et de ses colossales réussites : Expo 67, l’ouverture du métro, l’attribution des Jeux olympiques d’été de 1976, l’arrivée des Expos et du baseball majeur, les succès historiques du Canadien…

Nous savions que l’AMH n’était pas la LNH. En revanche, l’espoir que le niveau de jeu soit bientôt le même était réel. Plusieurs vedettes avaient fait le saut vers le nouveau circuit : Bobby Hull, Jean-Claude Tremblay, Bernard Parent, Gerry Cheevers, John McKenzie… Les équipes de l’AMH ne seraient pas des filiales des clubs de la LNH, mais des concurrentes à part entière.

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Jean-Claude Tremblay

Publiquement, la LNH observait l’AMH avec une condescendance inouïe. En coulisses, comme des documents de cour le révéleraient plus tard, elle se préparait à une bataille féroce. Dès la fin de l’été 1971, le président de la LNH, Clarence Campbell, avait créé un comité secret pour étudier l’impact de l’arrivée du nouveau circuit sur ses opérations.

Dans nos têtes de gamins, nous rêvions du jour où les Nordiques affronteraient… et vaincraient le Canadien ! Quarante ans plus tard, en évoquant cette période avec Maurice Filion, pilier de l’administration des Nordiques dès le premier jour, j’ai compris que les bâtisseurs de l’équipe entretenaient le même espoir.

« Je n’avais qu’un seul but : un jour battre le Canadien, m’a dit Filion. Lorsque cela surviendrait, ce serait un succès incroyable. Pour devenir une équipe admirée au Québec, il fallait battre Montréal. »

Filion savait bien que la route pour en arriver là serait pleine d’embûches. Et que le succès était loin d’être garanti. L’AMH survivrait-elle seulement à sa première saison ?

À Cleveland, Gary Davidson, cet audacieux entrepreneur qui a lancé l’AMH, procède à la mise en jeu officielle du premier match de l’histoire des Nordiques. Il est flanqué des deux capitaines : Jean-Claude Tremblay, des Nordiques, et Paul Shmyr, des Crusaders.

Quelques secondes plus tard, le duel commence et, du même coup, la vie sportive de Québec se transforme jusqu’à la vente de l’équipe au Colorado 23 ans plus tard.

Les Nordiques perdent ce match initial 2-0. Deux jours plus tard, ils disputent leur première rencontre au Colisée contre les Oilers de l’Alberta, comme on les appelait alors. Les sièges sont tous occupés, et les amateurs ont le sentiment d’assister à un évènement historique.

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Les Nordiques n’ont besoin que de quatre minutes pour marquer le premier but de leur histoire, celui du défenseur François Lacombe. Les hommes du Rocket conservent le contrôle du jeu et remportent une belle victoire de 6-0.

La soirée a été riche en émotion. Dans le compte rendu de La Presse, on lit : « La vedette de la chanson Ginette Reno a aussi donné un mini récital et la fanfare du Royal 22e [Régiment] ainsi qu’un orchestre bavarois ont fait les frais de la musique. »

Après le match, Maurice Richard semble soulagé, comme en fait foi une photo de l’époque prise dans son bureau du Colisée. La réalité est différente. Le célèbre numéro 9 a compris ne pas être fait pour diriger une équipe. Il ne retournera jamais derrière le banc, cédant sa place à Filion.

Battre le Canadien. Nous en étions loin en ce mois d’octobre 1972. Les années suivantes furent marquées de mille rebondissements. La stabilité des concessions n’était pas la marque de commerce de l’AMH. En revanche, on ne s’ennuyait jamais, car les nouvelles se bousculaient à la vitesse de l’éclair.

L’AMH a vécu sept ans. La LNH a aussi souffert financièrement de cette lutte entre les deux circuits. Un traité de paix a été signé en mars 1979, et quatre équipes de l’AMH, dont les Nordiques, sont passées à la LNH.

Quelques mois plus tard, le 28 octobre, le rêve de Filion et de milliers de gens de Québec s’est concrétisé. Au terme d’un match passionnant, les Nordiques ont battu le Canadien 5-4 au Colisée.

Jacques Demers, alors l’entraîneur-chef des Nordiques, déclare au Soleil : « Ce gain-là, je ne l’oublierai jamais. Pensez-y un peu ! Nous avons battu la plus grosse machine du hockey professionnel nord-américain. »

De 1979 à 1995, les Nordiques ont connu de fabuleuses péripéties dans la LNH. Mais dans mon esprit, la plus formidable période de leur histoire reste cette épopée rocambolesque du 11 octobre 1972 au 28 septembre 1979.

Cette victoire contre le Canadien marquait un nouveau départ pour l’organisation. Mais elle signifiait aussi la fin d’une époque dont je me souviendrai toujours avec nostalgie.