Une petite devinette pour commencer la semaine. Elle est de ma belle-mère.

« Sais-tu comment reconnaître un serpent à sonnette ?

— …

— Ne t’inquiète pas. Quand tu en croiseras un, tu le sauras. »

Même après 20 ans, elle me fait toujours sourire. Ce qui est vrai pour les crotales l’est aussi pour les futurs champions de tennis. Quand tu en vois un, tu le sais. Tout simplement.

Au printemps de leur carrière, les champions progressent rapidement. 500e. 250e. 100e. 50e. 25e. Ils poussent vite, vite, vite. Des fois, un peu tout croche. Ils s’égarent. Ils partent en vrille. Il faut les rattacher au tuteur. Puis un jour, ils éclosent. D’un seul coup.

Pop.

C’est ce qui s’est produit avec Leylah Fernandez, l’été dernier, aux Internationaux des États-Unis. La Québécoise avait éliminé coup sur coup trois des cinq meilleures joueuses au monde, ainsi qu’une ancienne numéro un. Quelques mois plus tard, la voici de nouveau quart-de-finaliste d’un tournoi du Grand Chelem, avec d’excellentes chances d’atteindre la finale. J’y reviens dans deux minutes.

Parallèlement, ça fait trois ans qu’on attend ce grand moment de Félix Auger-Aliassime. Pas qu’il en arrache. Au contraire. À 21 ans, il est déjà parmi les 10 meilleurs au monde. Il a aussi participé à 10 finales. Sauf qu’il en a perdu neuf, qu’il a de la difficulté face aux joueurs du top 10 et qu’il joue à peine pour ,500 sur la terre battue. Sans surprise, les attentes pour le printemps – la saison de l’argile rouge – étaient modestes.

Les débuts furent d’ailleurs désastreux. Auger-Aliassime s’est incliné devant des adversaires beaucoup moins bien cotés que lui. Puis à Rome, il y a deux semaines, il s’est retrouvé face au premier joueur mondial, Novak Djokovic. Un excellent joueur sur la terre battue. Auger-Aliassime lui a offert une solide opposition dans une défaite de 5-7 et 6-7. Djokovic fut impressionné. « [Félix] s’est amélioré sur la terre battue, a commenté le Serbe ce week-end. Nous avons disputé deux manches très serrées à Rome. J’ai été surpris de la précision de son service. »

PHOTO DYLAN MARTINEZ, REUTERS

Félix Auger-Aliassime

Dimanche, le Québécois avait rendez-vous avec une autre légende. L’ogre de l’ocre. Le Roi de Paris. Rafael Nadal. Savez-vous combien de joueurs ont battu l’Espagnol à Roland-Garros dans toute l’histoire ?

Cinq ?

Moins.

Quatre ?

Plus bas.

Trois ?

Encore plus bas. Seulement deux : Djokovic (deux fois) et Robin Söderling. Alors qu’Auger-Aliassime, avant cette année, n’avait même pas remporté un seul match à Roland-Garros. C’est vous dire l’écart entre les deux joueurs.

Or, Auger-Aliassime a résisté. Beaucoup plus longtemps que prévu. En fait, il a failli gagner. Jusqu’au milieu de la cinquième manche, on y a vraiment cru. Félix a attaqué son adversaire sans relâche. Comme une panthère affamée. Et le Roi a eu peur. Pour une très rare fois dans sa carrière, à Paris, Nadal s’est retrouvé dans la position de la proie, plutôt que celle du prédateur. L’Espagnol a dû réussir des coups exceptionnels, en fin de rencontre, pour battre le Québécois à l’arraché, 3-6, 6-3, 6-2, 3-6 et 6-3.

Au cours des deux dernières semaines, Auger-Aliassime n’a pas vaincu de champion. Sauf qu’il a prouvé qu’il pouvait tenir tête aux meilleurs joueurs de l’histoire sur terre battue. C’est déjà un exploit. Il a aussi poussé Daniil Medvedev (2e au monde) à la limite, en janvier, sur la surface de prédilection du Russe, à Melbourne. Et il a éliminé Roger Federer sur le gazon, l’été dernier, au tournoi de Halle.

« Félix se rapproche, a confié son entraîneur Fred Fontang à L’Équipe. Après son match contre Medvedev à Melbourne, celui contre Djokovic à Rome et celui-là, on peut dire que c’est positif. Il se crée des occasions. À un moment, ça va passer. »

Comme ça passe, désormais, pour sa jeune compatriote Fernandez. La jeune Québécoise (17e) vient d’éliminer successivement Belinda Bencic (14e) et Amanda Anisimova (27e). La voilà en quarts de finale. Le plus encourageant ? Elle est maintenant la joueuse la mieux classée dans sa moitié de tableau. Une deuxième finale d’un tournoi du Grand Chelem en moins de 10 mois n’est plus qu’une simple possibilité. C’est une probabilité bien réelle. Si elle poursuit sur sa lancée et gagne tous ses matchs cette semaine, elle pourrait atteindre le quatrième rang mondial – et égaler le record canadien de Bianca Andreescu.

Pour Fernandez comme pour Auger-Aliassime, leur carrière vient de passer le stade printanier. Place à l’été – et aux plus beaux jours.