Les Jeux d’hiver ont eu lieu, et c’est tant mieux. Un boycottage n’aurait servi qu’à pénaliser les athlètes. Il est toujours trop facile de leur demander de se sacrifier au nom des pays démocratiques alors que ces mêmes pays multiplient les échanges économiques avec la Chine sans que ces accords commerciaux soient remis en cause.

Une des craintes des partisans d’un boycottage était que ces Jeux améliorent l’image de la Chine. Ce ne fut certainement pas le cas.

Dès la cérémonie d’ouverture, le ton a été donné. Ces Jeux seraient ceux d’une dictature. Les seuls dignitaires étrangers présents venaient de pays autoritaires. Les Chinois ont poussé l’indécence et le cynisme jusqu’à choisir une athlète ouïghoure pour porter la flamme olympique dans le grand stade. Plus tôt, on a aussi eu droit à un mini-sommet Russie-Chine, où Vladimir Poutine et Xi Jinping ont cassé du sucre sur le dos de l’OTAN.

Oui, les Chinois ont mené des Jeux efficaces, notamment en évitant une épidémie de COVID-19 dans la bulle olympique. Mais cela n’améliore en rien la réputation internationale de leur gouvernement.

Ce succès organisationnel ne fait pas oublier leur non-respect des droits de la personne.

Pour le Comité international olympique (CIO), la fin de ces Jeux est une délivrance. Ceux de 2024 (Paris) et de 2026 (Milan/Cortina) auront lieu dans des démocraties, ce qui les place en théorie à l’abri d’un enjeu de politique internationale.

Mais attention : dans notre monde imprévisible, où une guerre pourrait éclater dans les prochains jours en Ukraine, rien n’est acquis. Un assaut russe contre ce pays indépendant aurait des conséquences graves sur tous les plans. Cela comprend les compétitions sportives internationales. Faudrait-il alors inviter les Russes à y participer ? Leurs athlètes seraient-ils les bienvenus en France et en Italie ? Cela deviendra un débat si le pire survient.

Ces Jeux d’hiver ont fait de magnifiques gagnants, mais aussi deux grands perdants.

Les gagnants, ce sont les athlètes qui nous ont offert des performances exceptionnelles, médaillés ou pas.

Dans une perspective québécoise, Marie-Phillip Poulin a ajouté à sa considérable légende en menant l’équipe canadienne à la plus haute marche du podium au hockey. Maxence Parrot a écrit son nom dans notre histoire olympique en remportant l’or après avoir combattu le cancer. Charles Hamelin a conclu sa carrière en champion et Steven Dubois, qu’on ne connaissait guère il y a un mois à peine, rentre à la maison avec trois médailles au cou.

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Marie-Phillip Poulin

Leurs succès ont contribué de manière éclatante aux 26 médailles remportées par le Canada. Avant les Jeux, on craignait que cette récolte soit la moins élevée depuis les Jeux de Salt Lake City en 2002. Ce ne fut pas le cas.

En fait, si justice est rendue et que nos représentants obtiennent finalement le bronze en patinage artistique par équipes (l’or gagné par la Russie pourrait lui être retiré), ces 27 médailles deviendraient le plus haut total après les 29 récoltées à PyeongChang en 2018.

Bien sûr, le nombre d’épreuves a augmenté à chaque édition des Jeux d’hiver, haussant ainsi le nombre de médailles possibles. Un exemple : 46 médailles d’or étaient en jeu à Calgary en 1988, 86 à Vancouver en 2010 et 109 à Pékin cette année. Mais en ces temps pandémiques, où la préparation des athlètes a été un redoutable défi, cette récolte me semble la plus méritoire de notre histoire aux Jeux d’hiver.

Les perdants ? D’abord, le sport russe.

Après l’immense tricherie des Jeux de Sotchi en 2014, on aurait espéré que ce pays lutte avec vigueur contre le dopage. On connaît la suite : le test d’une malheureuse adolescente de 15 ans, Kamila Valieva, effectué 40 jours avant les Jeux, a été positif. Qu’arrivera-t-il de la médaille d’or qu’elle a gagnée avec ses camarades dans le concours par équipes, où le Canada a pris la quatrième place ? Le Tribunal arbitral du sport tranchera. Mais il a rendu une première décision durant les Jeux, autorisant Valieva à participer au concours individuel.

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Kamila Valieva

Confrontée à une énorme pression, Valieva s’est écroulée durant son programme libre et a terminé au quatrième rang. Son entraîneuse, au lieu de la consoler, l’a durement apostrophée après sa performance, lui demandant pourquoi elle ne s’était pas battue avec plus de vigueur.

Même le président du CIO, Thomas Bach, a été heurté par cette scène et n’a pas caché son désarroi en conférence de presse. Ses propos ont été condamnés, avec effronterie, par le vice-premier ministre russe qui l’a accusé, selon le site Inside The Games, « de tisser son propre récit fictif ». Pour l’introspection face au dopage, les Russes ne sont pas champions.

Bach est lui-même l’autre grand perdant de ces Jeux. Présider une organisation internationale composée de pays aussi différents est, reconnaissons-le, d’une complexité inouïe.

Cela ne justifie pas qu’il ait accepté d’être instrumentalisé par le pays organisateur des Jeux comme ce fut le cas dans l’affaire Peng Shuai, cette joueuse de tennis qui a accusé d’agression sexuelle un ancien haut dirigeant chinois. Dans toute cette affaire, Bach a participé avec entrain à la comédie du gouvernement chinois. Son héritage en est entaché à jamais.

Oui, les Jeux d’hiver ont eu lieu et c’est tant mieux. Parce qu’ils nous ont rappelé qu’ils appartiennent d’abord et avant tout aux athlètes, pour qui ce rendez-vous demeure le plus prestigieux de leur carrière.

On peut, encore une fois, leur dire merci. Durant deux semaines, ils nous ont offert des performances à couper le souffle et de vifs moments d’émotion. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai eu les larmes aux yeux en les voyant célébrer leurs victoires ou pleurer leurs échecs. Ils nous ont rappelé que, malgré tous ses travers, le sport rend souvent la vie plus belle.