Chaque année, lorsqu’il était à la tête des Nordiques de Québec, Maurice Filion soupait avec le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, pour obtenir un rapport détaillé sur les espoirs locaux.

Chaque année, lorsqu’il dirigeait le Canadien de Montréal, Serge Savard rencontrait aussi le commissaire de la LHJMQ pour avoir son avis sur les vedettes montantes de sa ligue. « Serge me disait toujours : “Les joueurs de la LHJMQ, c’est ma priorité.” Il s’est parfois trompé, mais il a gagné la Coupe Stanley avec eux », raconte Gilles Courteau.

Chaque année, le directeur général du Lightning de Tampa Bay, Julien BriseBois, appelle également Gilles Courteau pour mieux connaître les espoirs d’ici. « Julien veut des comparables. Lorsqu’on parle d’un joueur, on va discuter cinq minutes du volet hockey, et dix minutes de tout ce qui se passe à l’extérieur de la glace. »

Et avec le Canadien, ces dernières années, comment ça se passait ?

Gilles Courteau avait un canal de discussion ouvert avec Marc Bergevin, qui lui demandait conseil « sur tel ou tel joueur ». Mais avec le recruteur en chef, Trevor Timmins, il y avait plusieurs bras de distance.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Gilles Courteau, commissaire de la LHJMQ

Trevor Timmins et Gilles Courteau se croisaient parfois dans un aréna. Ou au repêchage de la Ligue nationale. Mais les discussions de fond, comme celles avec Maurice Filion, Serge Savard ou Julien BriseBois, étaient rares. Très rares. En fait, c’est arrivé une seule fois, en 18 ans.

« C’était en janvier dernier », m’a indiqué Gilles Courteau.

C’était à la suite du repêchage de 2020, au cours duquel le Canadien avait complètement ignoré la LHJMQ pour la troisième fois en cinq ans. Le Tricolore avait notamment échangé son dernier choix aux Blackhawks de Chicago, qui avaient recruté le défenseur québécois Louis Crevier, aujourd’hui sous contrat.

Après cette transaction, plusieurs directeurs généraux et entraîneurs-chefs de la LHJMQ m’avaient contacté pour exprimer leur découragement et leur exaspération envers le Canadien. Trevor Timmins s’était défendu, affirmant n’avoir « aucun biais envers les joueurs de la LHJMQ ».

L’été dernier, après la controverse et les discussions avec Gilles Courteau, Trevor Timmins a pigé quatre fois dans la LHJMQ. Soit autant qu’au cours des sept années précédentes – combinées.

Le Canadien scrute la LHJMQ. Le club possède deux recruteurs à temps plein ici (Donald Audette et Serge Boisvert), en plus du directeur du personnel des joueurs et du recrutement amateur, Martin Lapointe. Les trois discutent régulièrement avec les entraîneurs-chefs et les DG de la LHJMQ.

Pourtant, avant l’été dernier, sous la direction Bergevin-Timmins, le Tricolore ne s’est pas tourné souvent vers des joueurs locaux.

Le Canadien et la LHJMQ (2012-2021)

Charles Hudon, 5e tour, 2012
Zachary Fucale, 2e tour, 2013
Sven Andrighetto, 3e tour, 2013*
Martin Reway, 4e tour, 2013*
Jeremy Grégoire, 6e tour, 2013
Daniel Audette, 5e tour, 2014
Simon Bourque, 6e tour, 2015
Samuel Houde, 5e tour, 2018
Rafaël Harvey-Pinard, 7e tour, 2019
Riley Kidney, 2e tour, 2021
William Trudeau, 4e tour, 2021
Joshua Roy, 5e tour, 2021
Xavier Simoneau, 6e tour, 2021

*Joueurs européens dans la LHJMQ

Plusieurs dirigeants de clubs de la LHJMQ m’ont confié qu’ils doutaient de l’influence des recruteurs québécois à la table de décision du Canadien. « Je pense que ça leur prenait un walkie-talkie pour pouvoir parler à Trevor Timmins », ironise un de mes contacts. Alors qu’ailleurs, Stéphane Pilotte (Anaheim), Luc Gauthier (Pittsburgh), Jérôme Mésonéro (Colorado), Michel Boucher (Tampa Bay) et Jean-Philippe Glaude (Nashville) ont l’oreille de leurs patrons pour recruter des joueurs d’ici, même au premier ou au deuxième tour.

« Le Canadien n’a pas fait d’échange pour gagner des rangs afin de repêcher un joueur d’ici, alors que d’autres équipes l’ont fait », note Gilles Courteau.

Le souhait du commissaire ? Que le prochain directeur général et le prochain recruteur en chef du Tricolore aient « une grande sensibilité envers la LHJMQ ». « Ce ne sont pas les 32 clubs de la LNH qui ont un recruteur à temps plein ici. Le Canadien doit profiter de cette situation », lance Gilles Courteau.

Le commissaire souligne que dans la dernière année, le Canadien s’est beaucoup rapproché de la LHJMQ.

« Je l’ai senti. Regardez le nombre de joueurs sélectionnés. Les entraîneurs embauchés à Laval, comme Jean-François Houle et Martin Laperrière. Le nombre d’anciens de la LHJMQ avec le Rocket de Laval. Presque tous les joueurs des Lions de Trois-Rivières ont évolué dans notre ligue. Il y a un tournant important. Comme un wake up call.

« Aujourd’hui, pour construire une équipe gagnante, tu dois prendre les meilleurs joueurs disponibles. Sauf que lorsque deux joueurs sont d’égale valeur, tu dois avoir un penchant pour le gars de la LHJMQ. […] Les partisans du Canadien, ils veulent avoir un club gagnant, mais ils aiment ça aussi encourager des joueurs qu’ils connaissent. Des joueurs auxquels ils peuvent s’identifier. »

À un moment donné, ajoute-t-il, « tu ne peux pas toujours passer à côté [des joueurs locaux] ».

« Je disais toujours à Marc Bergevin : arrête de sortir tes stats [du nombre de joueurs québécois] à la fin de l’année. Ça ne fonctionne pas. Ce n’est pas le nombre de joueurs qui compte. Ce sont ceux qui jouent et qui performent […], pas les gars assis au bout du banc et qui jouent une fois de temps en temps. Regarde William Carrier, Nicolas Roy et Jonathan Marchessault, à Las Vegas. Voyons ! Comment on peut [tous les rater] ? »

Marc Bergevin est parti. Trevor Timmins aussi. Le nouveau vice-président exécutif aux opérations hockey, Jeff Gorton, n’a jamais travaillé dans le hockey québécois ni habité ici. Comment Gilles Courteau anticipe-t-il l’avenir de la relation entre sa ligue et le Canadien ?

Très bien.

D’abord, il porte Jeff Gorton en haute estime. « C’est un gars qui connaît la LHJMQ », dit-il. Avec les Bruins de Boston et les Rangers de New York, Gorton a souvent pigé ici. Pour recruter Brad Marchand et Alexis Lafrenière, mais aussi des joueurs moins connus, comme Jonathan Girard, Gabriel Fontaine et Eric Naud.

Il ne rentre pas dans un monde inconnu. Sa force, c’est de recruter des joueurs, et d’avoir une bonne base pour le développement. Il est très, très solide là-dedans.

Gilles Courteau au sujet de Jeff Gorton, vice-président des opérations hockey du Canadien

« C’est le genre de gars qui écoute beaucoup, et qui ne parle pas souvent. Quand il parle, c’est très structuré, réfléchi. Il est respecté des autres directeurs généraux. Des DG m’ont dit : “Le Canadien ne s’est pas mis le doigt dans le nez avec lui.” Il va vite apprendre la culture locale. »

Gilles Courteau a également bon espoir que le prochain DG connaîtra bien la LHJMQ. « Sur le comité de sélection, Geoff Molson parle français. Bob Gainey parle français. Et Michael Andlauer parle très bien français. M. Andlauer, je le connais personnellement. Il a déjà manifesté un intérêt, dans le passé, pour acheter une franchise de la LHJMQ. Il est propriétaire d’un club dans la Ligue de l’Ontario. Il connaît la sensibilité du Québec. Je ne suis pas inquiet pour ça. »

Quant aux critiques qui soulignent que le problème, ce n’est pas tant le Canadien, mais la LHJMQ elle-même, Gilles Courteau a une réponse toute prête.

« Nos clubs ont gagné cinq des dix dernières Coupes Memorial. Dont trois consécutives [2011 à 2013]. Et pourquoi le Lightning de Tampa Bay en trouve-t-il, lui, des joueurs d’ici, qu’il fait jouer et qui sont performants ? »