Sans l’investissement financier majeur du gouvernement du Québec au début des années 2010, le Centre Vidéotron n’aurait pas été construit. Que ce même gouvernement – peu importe qu’un autre parti en soit aujourd’hui aux commandes – évalue la possibilité que cet amphithéâtre accueille un jour une équipe de la LNH est tout à fait approprié.

La décision de François Legault de confier ce dossier à Eric Girard a suscité de nombreuses railleries ces derniers jours. Les plus comiques – et c’est en effet très drôle ! – ont décrit le ministre des Finances comme le « ministre délégué au retour des Nordiques ».

Au-delà de la blague, la décision du premier ministre n’est pas une aberration. Dans plusieurs dossiers liés au sport-spectacle, l’État a joué un rôle crucial au fil des années. Et des ministres importants ont été « délégués » pour faire débloquer les choses.

Outre la construction du Centre Vidéotron, rappelons-nous la transformation du complexe de tennis du parc Jarry afin que Montréal conserve ses tournois ; la modernisation du stade de football de l’Université McGill en faveur des Alouettes ; le prêt de 75 millions d’Investissement Québec, aujourd’hui remboursé, comme contribution au rachat du Canadien par le groupe des frères Molson ; l’agrandissement du stade Saputo lors de l’accession de l’Impact à la Major League Soccer ; et le maintien du Grand Prix du Canada de Formule 1 sur le circuit Gilles-Villeneuve.

L’incursion de M. Legault dans le sport professionnel ne constitue donc pas un précédent. Je reconnais néanmoins ceci : dans le dossier des Nordiques, le gouvernement du Québec agit en initiateur, alors qu’il répondait à des demandes dans les autres cas.

L’initiative du premier ministre est intrigante, mais pas étonnante. Il existe à Québec un amphithéâtre de première qualité qui demeure sous-utilisé. Le constater ne remet pas en question la pertinence de le construire. La capitale nationale avait besoin d’un équipement moderne pour remplacer le vieux Colisée, alors en décrépitude.

Rien ne bouge dans le projet de retour des Nordiques. Au point que plus personne n’y croit vraiment, surtout après les deux coups durs encaissés depuis l’ouverture du nouvel amphithéâtre.

D’abord, Québec n’a pas obtenu d’équipe d’expansion, en 2016, lorsque Las Vegas a été choisie. Ensuite, deux ans plus tard, l’influent propriétaire des Bruins de Boston, Jeremy Jacobs, a décrété que le marché de Québec n’était pas assez gros pour accueillir un club du circuit. Depuis ce temps, c’est silence radio.

Québecor, qui détient le contrat de gestion du Centre Vidéotron, réitère à l’occasion son désir de faire renaître l’équipe. Vendredi dernier, M. Legault a néanmoins soulevé un enjeu intéressant à propos de Québecor et de son président, Pierre Karl Péladeau.

« Il y a un amphithéâtre, a dit le premier ministre. Actuellement, [pour] cet amphithéâtre-là, il y a comme une espèce de droit de premier refus pour Québecor et M. Péladeau. Il faut voir si M. Péladeau est toujours intéressé à débourser 700 millions et plus pour une équipe de hockey. Sinon, il faut voir comment on gère ça avec la Ville de Québec pour avoir l’amphithéâtre. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor

En juin 2016, lorsque la candidature de Québec a été rejetée, la valeur du dollar canadien face à la devise américaine a fait partie des principaux obstacles au retour des Nordiques. Le taux de change est légèrement plus favorable aujourd’hui, mais pas de manière déterminante.

Ce qui a changé, en revanche, c’est le coût d’admission à la LNH. Les Golden Knights de Vegas ont payé 500 millions US ; deux ans plus tard, le Kraken de Seattle a versé 650 millions US. N’allons pas croire que l’obtention d’une équipe à la suite du déménagement d’une concession existante serait beaucoup moins onéreuse. Si le prix de base était plus économique, la LNH réajusterait le tir en imposant de coûteux frais de transfert.

Comment M. Péladeau a-t-il accueilli ces remarques de M. Legault ? Après tout, celui qui se questionne sur le désir de Québecor d’acquérir une équipe n’est pas un simple observateur. Il s’agit du premier ministre du Québec, qui, selon les sondages actuels, vogue vers la réélection de son gouvernement en octobre prochain.

M. Legault va même plus loin en disant être prêt à discuter avec la Ville de Québec « pour avoir l’amphithéâtre », ce qui est une référence directe au contrat de gestion du Centre Vidéotron détenu par Québecor. Bref, l’approche du premier ministre ne fait pas dans la dentelle.

Quels sont les liens entre les deux hommes aujourd’hui ? Difficile à dire. Mais on sait qu’ils se sont solidement écorchés dans le dossier de la vente des journaux du Groupe Capitales Médias en 2019 et qu’ils ont été des adversaires politiques lorsque M. Péladeau était chef du Parti québécois.

Dans un monde idéal, MM. Legault et Péladeau travailleraient ensemble au retour des Nordiques. Ça ne semble pas être le cas. En fait, M. Legault a lui-même amorcé des contacts avec le commissaire de la LNH, Gary Bettman.

Ce n’est pas tout : il a annoncé que son ministre des Finances avait eu des « discussions avec les différents investisseurs potentiels du club ». Qui sont ces gens ? M. Péladeau en fait-il partie ou un projet parallèle, sans sa participation, se dessine-t-il ? Le premier ministre veut-il plutôt contribuer à la recherche d’associés pour permettre à Québecor de répartir le risque financier ? Au coût d’une concession aujourd’hui, cela tomberait sous le sens.

Peu importe la suite des évènements, il est sain que ce dossier soit dépoussiéré. L’initiative du premier ministre pourrait aussi valoir une réponse à cette question fondamentale : la LNH trouve-t-elle le marché de Québec trop modeste pour accueillir une équipe ?

Si c’est le cas, souhaitons que Gary Bettman ait le courage de le dire au premier ministre. Cela aurait le mérite de clarifier les choses pour de bon.