Si Stephen Bronfman entretenait secrètement l’espoir d’une contribution financière de l’administration municipale au retour du baseball majeur à Montréal, la victoire sans appel de Valérie Plante a sûrement balayé ses illusions. La mairesse a été claire à ce propos : pas question d’investir des fonds publics dans le projet.

En novembre 2017, peu avant l’élection qui a porté Plante au pouvoir une première fois, Bronfman a commis une erreur en appuyant publiquement la réélection de Denis Coderre. Cette fois, il a eu l’élégance de ne pas s’en mêler. Mais pas besoin d’être un devin pour comprendre que le retour aux affaires de l’ancien maire aurait mieux servi ses intérêts.

Passionné de baseball, Coderre aurait aimé répéter le coup de Jean Drapeau en 1968, dont l’influence a été déterminante dans la création des Expos. Je suis convaincu qu’il aurait consacré beaucoup d’énergie au dossier.

Plante n’est pas opposée au retour du baseball majeur et ses liens avec Bronfman sont cordiaux. Celui-ci l’a même félicitée après sa victoire de dimanche. Et il n’a sûrement pas oublié que c’est sous l’administration de la mairesse que son père, Charles Bronfman, a été fait citoyen d’honneur de la ville en 2019.

Bronfman et ses partenaires devront cependant présenter un plan bien ficelé pour la convaincre qu’un stade de baseball serait un atout dans le développement du bassin Peel. Les priorités de la mairesse sont ailleurs : logements abordables et sociaux, mise en valeur d’espaces verts et développement du transport collectif.

Dans ce contexte délicat, le groupe de Bronfman serait avisé de se doter d’un « porteur de ballon », c’est-à-dire une personne qui ferait la promotion du dossier dans l’espace public, tout en étant à la table des discussions avec les parties prenantes : gouvernement du Québec, administration municipale, groupes communautaires, gens d’affaires…

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Stephen Bronfman

Bronfman est le grand manitou, mais il aura besoin d’aide pour « vendre » le retour du baseball à la population. Jusqu’à maintenant, il travaille dans l’opacité. Ses rares sorties publiques, pleines d’enthousiasme, sont pauvres en information. C’est très bien que du travail se fasse dans les coulisses. Mais si les citoyens ont l’impression qu’on veut leur enfoncer dans la gorge un concept conçu derrière des portes closes, ce qui semble actuellement le cas, l’effet de ressac sera durable.

***

La semaine dernière, quand deux sondages ont démontré que Coderre se dirigeait vers une défaite électorale, j’ai pensé qu’une fois sa déception passée, il pourrait devenir ce nécessaire « porteur de ballon ».

Sans son soutien enthousiaste lorsqu’il occupait l’hôtel de ville, l’espoir du retour du baseball serait demeuré une lubie. Il a utilisé son poids politique pour crédibiliser l’idée. Sous son leadership, ce rêve à première vue loufoque s’est transformé en possibilité réelle. Voilà pourquoi je voyais en lui le candidat idéal pour poursuivre le travail d’une manière différente.

Denis Coderre aurait pu rassembler le milieu des affaires autour du projet et en faire la promotion dans les médias et parmi la population.

L’ampleur de sa défaite change cependant la donne. Coderre ne voulait pas que cette élection se transforme en « référendum » sur sa personnalité. Force est de constater que ce fut en partie le cas, et le verdict n’est pas à son avantage. Son discours de dimanche soir, après sa défaite, lui fait aussi très mal. L’amertume et la colère à peine contenue laissent une impression désagréable dans une circonstance semblable.

Ce n’est pas tout : à force de répéter durant la campagne électorale que Montréal était « sale » et « pas sécuritaire », Coderre serait aujourd’hui mal placé pour vanter les mérites de la ville auprès des décideurs du baseball majeur.

Si Bronfman juge utile d’embaucher un « porteur de ballon », il devra se tourner vers quelqu’un d’autre. Cela ne change en rien l’immense contribution de Coderre dans ce dossier lorsqu’il était maire. Il faudra s’en souvenir si Montréal retrouve une équipe.

***

Bronfman n’est pas le seul dirigeant sportif qui devra ajuster le tir à la suite de la victoire de Plante. Geoff Molson aussi. Le propriétaire-président du Canadien ne prévoyait sans doute pas ce triomphe de la mairesse quand il l’a écorchée sur Twitter durant les dernières séries éliminatoires de la Coupe Stanley, lui reprochant, allez savoir pourquoi, son « négativisme ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Geoff Molson

À cette époque, Coderre caracolait en tête des sondages et ses chances de reconquérir la mairie semblaient excellentes. Lorsqu’il était aux commandes, le Groupe CH a entretenu d’excellentes relations avec son administration. Le contrat obtenu par evenko dans le cadre de la course de Formule E ainsi que l’aménagement de l’amphithéâtre à ciel ouvert du parc Jean-Drapeau (site du festival Osheaga) en font foi.

Les relations du Groupe CH avec l’administration Plante sont plus difficiles. On en a eu une preuve lorsque le nouveau plan directeur du parc Jean-Drapeau a été dévoilé en avril dernier. Un accent supplémentaire est mis sur les espaces verts. Cette annonce a irrité le Groupe CH, qui perdra de l’espace pour présenter ses spectacles et qui a déjà menacé d’organiser le festival Osheaga ailleurs qu’à Montréal.

***

Forte d’une victoire écrasante, la mairesse Plante devra néanmoins renforcer le dialogue avec les gens d’affaires. Ils ont aussi à cœur le développement de Montréal, même si leurs visions ne sont pas toujours concordantes.

Sur le plan du sport-spectacle, Molson est un acteur incontournable à Montréal. Et Bronfman en deviendra un si le retour du baseball se concrétise. Les deux hommes doivent maintenant réaliser que Plante a été reportée au pouvoir de manière décisive. Ce résultat lui confère un mandat fort et illustre combien ses politiques trouvent un large assentiment dans la population.

Bronfman devra en tenir compte en peaufinant son futur stade. La qualité de vie dans les quartiers, le logement abordable, les espaces verts et les considérations environnementales sont – plus que jamais – au cœur du développement urbain. Il aura tout avantage à bien comprendre les attentes de la mairesse.

Même chose pour Molson. Ce n’est pas en l’éraflant sur Twitter, comme il l’a cavalièrement fait l’été dernier, qu’il facilitera la communication. Plante a eu raison de le rappeler dimanche soir : son élection en 2017 n’a pas été un accident de parcours. Ce fut plutôt le signe d’un changement fondamental à Montréal, changement concrétisé par sa réélection de dimanche. Le message est clair comme jamais.