Leylah Fernandez a regardé le coup d’Elina Svitolina tomber à ses pieds. Derrière la ligne de fond. Trop long. Victoire, à l’arraché : 6-3, 3-6, 7-6 (5). Dans le stade Arthur-Ashe, les spectateurs new-yorkais se sont levés d’un bond pour acclamer leur nouvelle coqueluche. Ils criaient. Ils applaudissaient. En liesse.

Leylah Fernandez, elle, a fait exactement le contraire.

Elle s’est tue.

Agenouillée.

Recroquevillée.

Comme une chenille dans son cocon. Dix secondes plus tard, lorsqu’elle s’est relevée, son visage était radieux. Son sourire, lumineux. Elle était légère. Libérée. Comme le papillon qui déploie ses ailes pour la première fois, et qui découvre un monde pas mal plus intéressant que le tronc d’arbre sur lequel il a passé la première moitié de sa vie.

La joueuse québécoise a d’ailleurs pris de la hauteur, cette semaine. Beaucoup, beaucoup de hauteur. Pour la première fois de sa carrière, Leylah Fernandez est capable de tenir tête aux meilleures au monde. Mieux encore – elle les élimine.

PHOTO FRANK FRANKLIN II, ASSOCIATED PRESS

Après le match, Leylah Fernandez s’est agenouillée sur le terrain, gagnée par l’émotion.

Elle vient de battre coup sur coup deux anciennes numéros un, Naomi Osaka et Angelique Kerber. Mardi, elle a vaincu l’actuelle cinquième joueuse mondiale, Elina Svitolina, championne récemment à Chicago. Ce fut un match spectaculaire. Deux fois, Svitolina est revenue de l’arrière. À 2-5 dans la troisième manche, ainsi qu’à 1-4 dans le bris d’égalité. Les deux fois, Fernandez a trouvé la force mentale pour résister à la remontée de son adversaire. Elle deviendra ainsi la première Québécoise de l’histoire, jeudi, à disputer la demi-finale des Internationaux des États-Unis. Un exploit d’autant plus remarquable que Fernandez n’a que 19 ans.

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Après la rencontre, la commentatrice Rennae Stubbs a accueilli Fernandez pour une courte entrevue sur le terrain. Coudonc, lui a-t-elle demandé, vous mangez quoi, les Canadiens, pour être bons de même au tennis ?

« Du sirop d’érable ! », lui a répondu Fernandez du tac au tac.

La foule a éclaté de rire. Charmante, Fernandez a maintenant tous les projecteurs de New York sur elle. Une attention soudaine qui lui va bien, et qui lui plaît.

« Depuis que je suis jeune, j’ai toujours voulu jouer devant mes parents sur le terrain principal, a-t-elle expliqué en conférence de presse. À l’école, je haïssais les présentations orales devant la classe. Mais lorsque je devais jouer dans un petit sketch, chanter ou danser, je participais et j’avais beaucoup de plaisir. »

Avec les années, j’ai appris à utiliser l’énergie de la foule. À l’employer à mon avantage. Même lorsque les spectateurs sont contre moi.

Leylah Fernandez

Il reste que dans les rangs professionnels, Fernandez a davantage évolué dans l’ombre que dans la lumière. À la fin de juillet, j’ai assisté à son match de premier tour, aux Jeux de Tokyo. Pas dans le stade principal. Sur le sixième terrain. Au fond d’un labyrinthe de coulisses. Nous étions très exactement 23 dans le stade – y compris les joueuses, l’arbitre et les chasseurs de balles. Et au point de presse qui a suivi, seulement trois journalistes.

Ce jour-là, elle avait vaincu une Ukrainienne mieux classée qu’elle. Sauf que les semaines qui ont suivi furent difficiles. Fernandez s’est fait éliminer au premier tour à Montréal et à Cincinnati. Elle s’est pointée à New York avec une fiche de 17 victoires et 15 défaites en 2021. Au 73e rang mondial. Loin de son objectif ambitieux de janvier – être parmi les 10 meilleures au terme de l’année.

Les attentes pour les Internationaux des États-Unis étaient, reconnaissons-le, modestes. C’est ce qui rend ses performances de cette semaine d’autant plus étonnantes et séduisantes. Au pire, Fernandez quittera New York au 37e rang mondial. Si elle atteint la finale, elle montera au 27e rang. Et si elle est couronnée championne, elle terminera la semaine au 19e rang mondial. Très, très proche de son objectif.

Sa carrière vient donc de prendre son envol. Pour vrai. Désormais, et pour un bon bout de temps, elle n’aura plus besoin de passer par les qualifications pour atteindre le tableau principal des grands tournois, comme elle a dû le faire cette saison à Miami, Madrid, Rome et Cincinnati. Aussi, elle affrontera plus souvent les meilleures. Exactement ce dont elle a besoin, à son âge, pour progresser rapidement.

« J’ai souvent rêvé que je disputais tous les tournois, tous les Grands Chelems, sur la plus grande scène, a-t-elle indiqué en conférence de presse mardi soir. Quand j’étais jeune, j’imaginais que j’affrontais Justine Henin, parce qu’elle était mon modèle. Ou Serena et Venus [Williams]. Ces dernières années, [Naomi] Osaka. Je me suis toujours vue dans un gros stade, devant plein de gens, et juste avoir du plaisir sur le terrain.

— Et dans tes rêves, gagnais-tu ces matchs ?

— Oui ! »