L’adolescence est un puits d’inspiration sans fond pour les artistes. Les plus récents spectacles d’humour auxquels j’ai assisté, avec leurs airs de psychothérapie, trouvaient leurs assises dans les humiliations de la jeunesse, le rejet des pairs et une forme de dialogue de sourds avec les parents.

Sans un besoin d’amour non comblé, Maude Landry ne serait pas sur scène aujourd’hui, dit-elle. Sans le rejet vécu dans sa jeunesse, Philippe-Audrey Larrue St-Jacques, lui aussi considéré comme « différent », n’y serait pas non plus.

Jean-Sébastien Girard fait le même constat. Depuis son plus jeune âge, il a recherché désespérément les feux de la rampe. Il s’est brûlé plus d’une fois sur des ampoules, en arrière-scène. Ce chemin fait d’humiliations est devenu la matière première de son premier spectacle solo.

Bien des humoristes, pour différentes raisons, sont des garçons et des filles « pas comme les autres » (pour emprunter le titre du spectacle de Girard, lui-même emprunté à Starmania). Ils soulignent à gros traits d’autodérision, pour un maximum d’effet comique, ce qui les motive tant à tenter d’obtenir l’aval du public. Pour panser des blessures, pour combler un vide, pour calmer des angoisses qui, souvent et de leur propre aveu, proviennent de l’adolescence.

Dans la première scène du premier épisode de la série Haute démolition, inspirée du roman de Jean-Philippe Baril-Guérard et diffusée jeudi à Série Plus, le futur humoriste Raph (Étienne Galloy) se fait intimider pendant qu’il est aux toilettes chimiques par un groupe d’élèves de sa classe du secondaire.

On s’est moqué de Philippe-Audrey, au secondaire, parce qu’il était littéraire. On s’est moqué de Jean-Sébastien parce qu’il était fasciné par les vedettes populaires. Ils ont en commun de ne jamais avoir été choisis en premier au ballon-chasseur et de s’être mépris sur la tactique à adopter afin de briller en société (ou à tout le moins d’intégrer le groupe majoritaire).

Girard a cru que son passage à une émission de Télé-Métropole – vêtu d’une simple serviette sur une table d’acupuncture, afin de soigner une phobie du sommeil – en ferait une vedette de la cour d’école. Larrue St-Jacques a pensé qu’un baptême à 9 ans lui ouvrirait les portes du conclave des enfants dans le vent.

Ils avaient tort. Jean-Sébastien a reçu des sandwichs au baloney au visage, alors qu’il mangeait seul à la cafétéria de l’école. Il n’a pas osé en parler à sa mère, et encore moins à son père, qui lui offrait avec obstination des camions Tonka à Noël alors qu’il aurait préféré une Barbie.

Après sa première peine d’amour, le père de Philippe-Audrey, ne trouvant pas les mots pour le consoler, lui a suggéré de ne pas lire La confession d’un enfant du siècle de Musset, inspirée par sa relation tumultueuse avec George Sand. Ce que Philippe-Audrey a fait, bien sûr, par esprit de contradiction.

Il n’est pas toujours facile de traverser l’adolescence. Et il n’est pas toujours simple de guider un adolescent, lorsqu’on est parent. Il y a une imprévisibilité inhérente à l’adolescence. L’intensité des réactions y est plus forte qu’à l’enfance ou à l’âge adulte.

L’adolescence est un parcours en montagnes russes, et c’est dans l’ordre des choses, rappelle la psychologue Lisa Damour, que ma collègue Silvia Galipeau a interviewée pour son nouveau livre, The Emotional Lives of Teenagers.

Ce qui a changé, depuis l’époque où Philippe-Audrey Larrue St-Jacques et Jean-Sébastien Girard étaient adolescents, il y a respectivement 20 et 30 ans, c’est que l’injonction du bonheur n’a jamais été plus claire. On ne laisse plus aux adolescents la possibilité d’être malheureux, même pour de courtes périodes de temps, croit Lisa Damour. On craint pour eux la tristesse, cet état dont il faudrait se défaire au plus vite.

Les adolescents parlent désormais ouvertement de santé mentale et consultent sans a priori des experts. Sauf que la santé mentale, ce n’est pas se sentir bien en permanence, rappelle Lisa Damour. C’est aussi avoir des réactions appropriées à des obstacles, des revers, des déceptions. Et être capable de faire face à ces difficultés. Être triste est sain, dit-elle en somme. Et laisser croire le contraire aux adolescents est dangereux.

La psychologue remarque que certains jeunes qu’elle traite en sont rendus à se sentir mal de se sentir mal, tellement on attend d’eux le bien-être. Les parents y sont pour quelque chose. Ils reconnaissent peut-être davantage les vertus de la psychologie que leurs propres parents il y a quelques décennies, mais ils ont aussi pris de mauvais plis. Celui, notamment, de vouloir à tout prix éviter à leurs adolescents les mêmes traumatismes (petits et grands) qu’ils ont vécus à leur âge.

Une première peine d’amour, un échec ou une humiliation publique, l’anxiété de performance scolaire ou sportive, le stress des grandes étapes du passage de l’enfance à l’âge adulte. Ce sont, rappelle Lisa Damour, des expériences parfois désagréables, voire pénibles, mais nécessaires au développement, à l’autonomie et l’indépendance des adolescents.

Il ne faut pas leur éviter ces épreuves, mais plutôt, croit-elle, les préparer à encaisser le mieux possible les coups, qui seront inévitables.

Déprimer – un peu, et pas trop longtemps – est tout à fait normal à l’adolescence. C’est le contraire qui serait inquiétant. Les émotions fortes qui submergent parfois les jeunes, la frustration exprimée envers leurs amis ou leurs parents (qui peut être exaspérante) sont des passages obligés. Du spleen adolescent naissent même des vocations. Que serait l’humour québécois sans lui ?