Le sport, les saines habitudes de vie, la bonne alimentation, la modération en toutes choses… toutes ces injonctions sont amplement documentées et exercent sur nous un sournois sentiment de culpabilité.

La question des facteurs protecteurs de la santé m’habite depuis longtemps, sûrement influencée par la mort de ma mère, emportée par un cancer beaucoup trop tôt, ou par mon père dont un grave AVC a brutalement interrompu la vie active, sa vie en santé. Il n’a sûrement pas passé les dernières années de sa vie comme il l’aurait souhaité ! Normal, inévitable ? Probablement que non. Aide-toi et le ciel t’aidera, disent le proverbe… et la science.

Regardons quelques faits avec le DMartin Juneau, cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM), spécialiste de la prévention.

Martin Juneau s’est battu (le mot n’est pas exagéré) toute sa carrière pour convaincre les gouvernements, la population en général et ses patients en particulier de l’importance d’adopter de saines habitudes de vie. Pas par entêtement ou par lubie, mais parce qu’il est habité par des convictions profondes basées sur les plus grandes et sérieuses recherches scientifiques au monde.

Les statistiques que me donne Martin Juneau sur la qualité de vie pendant notre dernière décennie à vivre donnent froid dans le dos ! Vous êtes jeunes, sédentaires, vous ne vous alimentez pas très bien, vous avez un tour de taille un peu plus élevé et vous consommez trop d’alcool ? Eh bien, vous risquez de handicaper sérieusement vos 10 dernières années de vie !

Au lieu de mourir en moyenne vers 80 ans en bonne santé si vous faites ce qu’il faut, vous allez vivre vos 10 dernières années diminué par des maladies chroniques.

Donc oui, on meurt plus vieux qu’avant, mais dans quel état ?

Martin Juneau a des chiffres alarmants sur les conséquences de ne pas se prendre en main. Il a dirigé pendant de nombreuses années le centre EPIC de l’ICM et a fait de la recherche de pointe pour prouver qu’on peut, et qu’on doit, inverser la tendance face aux facteurs de risque de maladies chroniques.

Oui, les pilules peuvent nous soigner, diminuer nos symptômes, retarder notre mort, mais pourquoi risquer une piètre qualité de vie alors que les recherches démontrent très bien qu’on peut prévenir l’obésité, le diabète, une bonne partie des maladies cardiovasculaires, plusieurs cancers et retarder les démences en adoptant ces habitudes à n’importe quel moment de sa vie ? Martin Juneau se tue à le répéter sous toutes les déclinaisons possibles depuis près de 40 ans.

Je l’interroge. Vos batailles ont-elles donné quelque chose ? Que vous ont répondu les gouvernements que vous avez tenté de sensibiliser toutes ces années ? Sa réponse est directe : « Ça n’a pas donné grand-chose. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le DMartin Juneau, cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal

Les dépenses du gouvernement en prévention représentent une goutte d’eau sur un budget de 50 milliards. Jamais les mesures de prévention ne bénéficieront de la même priorité gouvernementale que les traitements pharmaceutiques ou technologiques.

Le DMartin Juneau, cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal

Les bénéfices des mesures de prévention se font sentir à moyen et à long terme, c’est donc très peu payant politiquement. Les médicaments, c’est bien, mais ça coûte très cher alors qu’on pourrait notamment consacrer une fraction de cet argent à engager des kinésiologues, des nutritionnistes et des psychologues dans tous les groupes de médecine de famille (GMF).

Vous ne trouvez pas que ce discours ressemble à celui sur les changements climatiques ? Une vue à court terme, la crainte de mesures trop difficiles à appliquer, le report des problèmes à plus tard, et hop, un jour, on se retrouve avec un problème cardiaque, ou un diabète, ou un cancer, ou des incendies de forêt, des inondations et des records de chaleur extrême partout sur la planète !

Le déclic sur la prévention appliqué à notre propre santé ne se fait pas automatiquement. Pendant mes années intenses de vie politique, j’ai tout à coup décidé de me prendre en main, de retrouver mon poids santé, de cesser complètement l’alcool, de m’entraîner sérieusement et vous savez quoi ? Je ne me suis jamais sentie aussi en forme et en pleine possession de mes moyens.

Où ai-je trouvé cette motivation et cette détermination ? En vérité, je ne le sais pas trop. Un sentiment d’urgence devant les années qui passent trop vite, les gens malades que l’on côtoie ou les proches morts qui, comme mon père, ont vécu cette piètre qualité de vie pendant leurs dernières années de vie.

Ce qui crée en nous cette motivation demeure souvent nébuleux, mais si nous osons le premier pas de notre remise en forme, on constate que le plaisir croît avec l’usage !

Cette prévention nous rend-elle invulnérables ? Bien sûr que non, mais au moins, nous maximisons les conditions pour pouvoir profiter de notre dernière décennie en santé.

Martin Juneau est catégorique : les sociétés développées foncent dans un mur, dans le mur du déni et de la complaisance. Au point où pour la première fois en plus d’un siècle, les jeunes Occidentaux nés au début des années 2000 vont vivre moins longtemps que leurs parents, en raison notamment de l’épidémie d’obésité.

Martin Juneau a tout donné depuis 40 ans en matière de prévention. Don Quichotte devant l’éternel ? Peut-être, mais sa voix doit résonner encore plus fort et très longtemps pour que nous puissions, comme société, améliorer non seulement notre espérance de vie, mais surtout notre espérance de vie en santé !

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