À l’occasion, Dialogue invite une personnalité à faire connaître son point de vue sur un enjeu ou une question qui nous touche tous. La journaliste et animatrice Noémi Mercier s’intéresse aujourd’hui aux angles morts des comparaisons constantes entre la richesse au Québec et en Ontario.

François Legault voit l’Ontario dans sa soupe. À l’entendre, l’écart de richesse qui nous sépare de nos voisins est une tare nationale qu’il faut impérativement corriger. Le premier ministre a même fait de cet enjeu l’une des pierres angulaires de son deuxième mandat. « Je veux un Québec qui gagne. Il y en a qui vont penser que c’est une obsession, mais pour moi, ça reste une grande priorité. […] Il n’y a pas de raison qu’on soit moins riches [qu’eux] », avait-il déclaré à l’Assemblée nationale lors du discours d’ouverture qui a suivi sa réélection, en 2022. Et il n’a cessé de l’évoquer depuis⁠1.

Chez lui, c’est plus qu’une idée fixe, plus qu’un mantra ; c’est une sorte de dogme, dont les députés de l’opposition ont pris l’habitude de se moquer. Le gouvernement caquiste « fait de la comparaison avec l’Ontario un nouveau projet de société », a ironisé le péquiste Pascal Bérubé lors d’une récente intervention au Salon bleu.

C’est incontestable : malgré des progrès, les Québécois demeurent moins fortunés et moins productifs que leurs bons vieux rivaux. Leur niveau de vie est inférieur de 13,5 % à celui de leurs voisins, ils travaillent moins d’heures par emploi en moyenne (51 heures de moins par année), génèrent moins de richesse pour chaque heure travaillée (4,50 $ de moins) et sont moins bien payés (1,51 $ de moins) pour chacune des heures qu’ils passent au travail⁠2.

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Pour le premier ministre François Legault, le rattrapage économique du Québec par rapport à l’Ontario est une « obsession ».

Je me demande cependant si ça rime encore à quelque chose d’envier l’Ontario sur la base de critères purement comptables. Est-ce que la performance économique nous dit tout ce qu’il faut savoir sur la vitalité d’une société ? J’en doute.

Pour aller plus loin, il faudrait comptabiliser un paquet d’autres données, croiser le tout par de savants calculs afin d’accoucher d’un indice plus précis, mais forcément imparfait, des conditions de vie de la population.

Ou bien, plus simplement, on pourrait demander aux gens comment ils vont.

C’est ce que fait Statistique Canada à intervalles réguliers : chaque trimestre, l’organisme interroge des milliers de personnes au pays pour savoir si elles aiment leur vie, si elles arrivent à boucler leurs fins de mois, si elles sont bien dans leur peau, si elles ont espoir en l’avenir. Ces impressions subjectives de leur propre existence, avec tout ce que cela comporte d’intangible et d’inquantifiable, nous renseignent bien davantage sur leur qualité de vie que n’importe quel critère de rendement économique.

Et sur ce plan, le Québec est déjà dans une classe à part. Il a non seulement rejoint l’Ontario, il le surpasse.

Prenons le bien-être financier. Selon les plus récentes données publiées, une personne sur cinq au Québec estime avoir du mal à subvenir à ses besoins de base. C’est énorme. Mais en Ontario, la proportion de gens qui se sentent ainsi pris à la gorge atteint 28 % ; c’est presque une fois et demie de plus que chez nous. À l’inverse, plus de 40 % des Québécois trouvent facile de répondre financièrement à leurs besoins ; en Ontario, moins du tiers de la population éprouve ce genre d’aisance.

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Les Québécois estiment avoir une meilleure qualité de vie que les Ontariens.

Ce n’est pas juste sur le plan matériel que les Québécois se portent mieux. C’est leur vie en général qui leur sourit davantage. Plus de 60 % d’entre eux s’estiment satisfaits, voire très satisfaits de leur existence, une avance de 15 points de pourcentage sur leurs voisins ontariens.

Les lendemains semblent plus roses vus d’ici. Les deux tiers des Québécois, mais à peine plus de la moitié des Ontariens, envisagent l’avenir de manière positive. Les Québécois sont aussi davantage portés à se sentir utiles dans la vie, à y trouver un sens.

Un Québécois sur dix, au contraire, n’a pas vraiment l’impression de servir à quelque chose ; eh bien, en Ontario, ce sentiment de vide habite une personne sur six ! Et puis, environ deux fois plus d’Ontariens (21 %) que de Québécois (11) % se considèrent comme en piètre santé mentale.

Je suis remontée jusqu’à 2021 et, bien que les chiffres varient, l’essentiel demeure. Saison après saison, selon cinq mesures du sentiment de bien-être, la proportion de gens qui trouvent la vie clémente est plus grande au Québec qu’en Ontario. Et sur chacune de ces dimensions, les Québécois dépassent systématiquement la moyenne canadienne.

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L’économie ontarienne roule à plein régime, mais presque le quart des citoyens y sont insatisfaits de leur sort.

À la lueur de ces données, le Québec ne correspond plus à l’image d’une province retardataire, ankylosée, que nous renvoient certaines élites. Il apparaît plutôt comme un havre, une aire protégée, une société résiliente où, malgré les turbulences économiques, on parvient à se fabriquer une vie douce.

Voilà qui me paraît aussi enviable qu’une économie à l’ontarienne, qui roule à plein régime, mais où presque le quart des citoyens sont insatisfaits de leur sort.

Car à quoi la richesse doit-elle servir, sinon à bâtir une société où il n’est pas inutile de rêver, où l’on peut non seulement survivre, mais aussi s’épanouir, et où ces parcelles de dignité sont accessibles au plus grand nombre ? C’est à cela que nous devrions aspirer en premier lieu, il me semble.

Bien sûr, ce n’est pas une raison pour se contenter de peu ni pour bouder les occasions de s’enrichir. En supposant que le bien-être québécois est le fruit, entre autres, de services publics plus fournis et d’aides de l’État plus généreuses, le Québec devra mobiliser toutes ses ressources pour maintenir son exceptionnelle sérénité dans un contexte où son économie ralentit et où sa population vieillit.

Alors oui, que le Québec « gagne », produise, prospère ! Mais, de grâce, pas pour devenir l’Ontario. Pour préserver ce que nous sommes.

1. Dans sa mise à jour économique de novembre dernier, le gouvernement caquiste a réitéré son ambition d’éliminer d’ici 2036 l’écart de niveau de vie qui subsiste entre le Québec et l’Ontario.

2. Consultez les données de Statistique Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue