Quand nous défendons le français chez nous, ce sont toutes les langues du monde que nous défendons contre l’hégémonie d’une seule.

Pierre Bourgault

Vous avez l’impression que la qualité de la langue n’est pas au rendez-vous quand vous écoutez la radio ? Vous avez raison. Pour réaliser une étude rendue publique cette semaine, l’enseignante Marie-Josée Olsen de l’École supérieure en art et technologie des médias (ATM) du cégep de Jonquière a écouté 40 émissions matinales de radios publiques et privées québécoises, analysant la qualité de la langue utilisée par 134 artisans de la radio⁠1. Conclusion ? Anglicismes, jurons et mots familiers sont omniprésents.

La chercheuse voit dans ce glissement vers une langue plus populaire une volonté de « se rapprocher de l’auditeur ». Les médias ne veulent plus être des modèles, mais des miroirs. J’y vois également de la paresse, un manque de culture et une certaine colonisation des esprits. Illustrons cela avec des exemples (tirés de mes propres notes).

L’émission La journée (est encore jeune), à Radio-Canada, est un bel exemple d’un certain laisser-aller linguistique. Toutes les personnes dans le studio ont la capacité de parler un français impeccable. Pourtant, elles parlent de « mon highlight de vie » (plus grand moment), je « feel » (je ressens), un « roast » (bien cuit), un « hot seat » (entrevue corsée), un « citoyen random » (quidam, citoyen lambda).

Un vieux rapport poussiéreux de Radio-Canada à propos de la qualité de la langue2 rappelle que ce qu’on entend sur les ondes de la société d’État se diffuse rapidement et devient acceptable dans la société. À relire.

Dans la catégorie « paresse », les exemples sont légion. À l’écrit, il est souvent évident que ni l’auteur ni les correcteurs n’ont fait d’effort minimal pour trouver un équivalent français : « … l’un des plus beaux films québécois de coming-of-age ». On aurait très bien pu dire « films sur le passage à l’âge adulte ». En gros titre : « Des guns et des hommes » (au lieu de des armes), « escape room » (au lieu de jeu d’évasion), etc.

À la télé, c’est un peu différent, ce sont des mots anglais qui sont sans cesse répétés et qu’on laisse passer. L’amour est dans le pré pourrait inciter ses participants à remplacer date par sortie, rendez-vous, tête-à-tête, rancard, etc. L’émission Le meilleur pâtissier au Québec pourrait faire la même chose avec le mot « batch », « fournée » fait l’affaire depuis des siècles. À Survivor Québec, c’est « blindsided » qu’on pourrait remplacer par le tout à fait approprié « piégé ».

À la défense de certaines émissions, je tiens à souligner la contribution de Noovo qui, dans Big Brother célébrités comme dans Survivor Québec, fait le sous-titrage français des mots anglais prononcés par les participants. C’est instructif pour tout le monde.

À l’écrit, un chroniqueur s’excuse d’utiliser l’expression « you are damned if you do and damned if you don’t », en arguant qu’il n’y a pas d’équivalent aussi fort en français. Ici, on parle de manque de culture : un « choix cornélien » dit très exactement ça, et donne peut-être le goût de lire Corneille.

Par ailleurs, bien des médias ont la détestable habitude d’indiquer l’équivalent anglais quand on a très bien compris le sens de la phrase en français : « les élections de mi-mandat (midterms) auront lieu ce mardi, dans les États susceptibles de basculer d’un camp à l’autre (swing states) », « Hillary Clinton soutient que la solitude a été utilisée comme une arme (weaponized) par Donald Trump », « il en reste donc un effet de paralysie et de dissuasion (chilling effect) », « qui avaient de l’expérience respectivement en programmation (booking) d’artistes », « la portée publicitaire (ad reach) a baissé de 6 % », « ce qu’étaient autrefois les laboratoires d’entreprise (corporate labs) », etc.

Cette détestable habitude vient du fait qu’à force d’utiliser un terme en anglais, il devient, pour l’utilisateur, le seul mot qui traduise vraiment bien le concept, ce qui est tout à fait faux.

Le Devoir nous en a récemment donné un autre bel exemple en publiant un long article sur les traumavertissements tout en insistant pour utiliser l’acronyme TW (trigger warning) tout au long du texte. Misère.

Pris un à un, chacun de ces exemples n’a aucune importance. C’est leur somme qui fait mal. Je suis d’ailleurs certain que cette absence d’efforts en matière linguistique n’est pas étrangère à la perte de crédibilité des médias. Si on ne s’impose pas de normes sévères sur la qualité de la langue, pourquoi en aurait-on sur le reste ?

Quand j’étais jeune, il était ridicule de penser qu’un jour nous utiliserions un mot français au lieu de bumper, wiper ou tire. Grâce à l’Office québécois de la langue française, au travail de bien des employeurs et de bien des syndicats, aujourd’hui, parechoc, essuie-glace et pneu, des mots « consacrés » en anglais, disait-on à l’époque, ont aujourd’hui repris leur place. La défaite linguistique n’est pas inéluctable.

La culture anglo-américaine est la principale menace à la diversité du monde. Il faut mener la bataille, un mot à la fois.

1. Lisez la chronique « Parlons de radio » de Mario Girard 2. Consultez le rapport de Radio-Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue