À première vue, cette question peut sembler farfelue : New York est un État où les électeurs démocrates sont deux fois plus nombreux que les électeurs républicains. Les Newyorkais ont voté sans interruption en faveur du candidat présidentiel démocrate depuis la fin des années 1980. Et les démocrates ont raflé toutes les élections tenues à l’échelle de l’État depuis 20 ans.

Et pourtant.

L’élection au poste de gouverneur : plus serrée que prévue ?

Gouverneure depuis 2021, la démocrate Kathy Hochul était d’emblée favorite en vue de l’élection de 2022. Mais l’avance qu’elle détenait sur son adversaire républicain, Lee Zeldin, a fondu de moitié depuis le mois dernier.

Tout au long de la campagne, M. Zeldin, un représentant fédéral appuyé par Donald Trump, a mis l’accent sur les enjeux de l’inflation et la criminalité. Mme Hochul, elle, ne rate pas une occasion de rappeler que M. Zeldin a refusé de certifier le résultat de la dernière élection présidentielle et qu’il s’oppose farouchement au droit à l’avortement. Dans un État où Donald Trump est très impopulaire et où la grande majorité des résidents sont pro-choix, pourquoi cela ne suffit-il pas pour faire de M. Zeldin un candidat persona non grata ?

L’avortement : un enjeu qui n’en est pas un ?

Le droit à l’avortement est certainement un enjeu qui a mobilisé bon nombre d’électeurs démocrates et indépendants depuis l’arrêt Dobbs de la Cour suprême. Mais selon un sondage Quinnipiac publié en octobre, seulement 6 % des électeurs de New York considèrent l’avortement comme l’enjeu le plus important, loin derrière la criminalité (28 %) et l’inflation (20 %). Et dans un sondage d’Emerson publié la semaine dernière, l’avortement est seulement le quatrième enjeu le plus important.

Paradoxalement, cet enjeu n’a possiblement pas l’effet mobilisateur escompté par les démocrates, car le droit à l’avortement est bien protégé dans cet État. Selon l’institut Guttmacher et le groupe Planned Parenthood, New York est un des États offrant le plus de protection au droit à l’avortement. Et M. Zeldin tente de neutraliser cet enjeu en affirmant ne pas vouloir y toucher s’il est élu gouverneur.

L’arrivée des renforts

Cette course suscite tellement d’inquiétude chez les démocrates qu’on a eu droit récemment à des visites de plusieurs leaders du parti : Joe Biden, Kamala Harris, Bill et Hillary Clinton. Des gouverneurs fort populaires auprès de l’électorat républicain, Ron DeSantis de la Floride et Glenn Youngkin de la Virginie, sont également venus faire campagne pour M. Zeldin. Par contre, Donald Trump ne s’est pas immiscé dans la campagne au-delà de l’annonce de son appui envers M. Zeldin. Tout cela indique que les deux camps perçoivent une lutte chaudement disputée.

Les républicains espèrent aussi remporter entre 6 et 11 sièges (sur 26) au Congrès. Comment peuvent-ils s’attendre à une récolte de la sorte alors que les démocrates avaient entériné un « gerrymander » de la carte électorale à saveur partisane ? En fait, la Cour d’appel de New York a invalidé ce redécoupage démocrate et l’a remplacé par celui d’un expert non partisan qui permettrait aux républicains de récolter jusqu’à sept sièges de plus que sous le plan démocrate. Une différence qui pourrait être décisive pour le contrôle de la majorité au Congrès.

Ne pas oublier les autres courses étatiques

Comme à chaque deux ans, tous les sièges de la législature étatique sont en jeu. À moins d’un raz-de-marée républicain, les démocrates vont préserver leur majorité dans chacune des deux chambres. Mais pourront-ils maintenir leurs majorités qualifiées des deux tiers ? Cette question revêtirait d’une importance particulière si M. Zeldin devenait le prochain gouverneur, car cette majorité qualifiée dans chaque chambre est nécessaire pour outrepasser le veto qu’il n’hésiterait pas à employer.

La procureure générale sortante de New York, la démocrate Letitia James, est favorite pour remporter un autre mandat. Mais son avance a diminué quelque peu alors que le candidat républicain Michael Henry ne cesse de marteler les enjeux de la criminalité et des problèmes liés à une réforme démocrate sur le cautionnement de certaines personnes accusées de délits ou de crimes. Une défaite-choc de Mme James aurait un impact majeur sur les enquêtes menées auprès de l’ancien président Donald Trump. En contrepartie, une victoire décisive de Mme James pourrait préparer le terrain pour une future candidature à un poste plus important comme celui de gouverneur ou sénateur.

Comme va New York…

Aucun État n’est à l’abri des dynamiques favorables en ce moment aux républicains : une inflation qui ne semble pas vouloir s’estomper et un président démocrate relativement impopulaire. On peut douter qu’une vague rouge déferle à New York en raison de l’avantage numérique que possèdent les démocrates.

Mais si jamais une vague rouge devait se manifester… Pour reprendre la célèbre chanson de Frank Sinatra, si au matin du 9 novembre on s’aperçoit que les républicains ont réussi à y arriver à New York, cela voudra dire qu’ils y seront arrivés partout ailleurs.

* Antoine Yoshinaka enseigne la politique américaine et les méthodes quantitatives. Ses travaux portent sur les institutions politiques, les élections et les partis politiques aux États-Unis. Il est également chercheur associé à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion