Au-delà de sa disparition physique, le décès d’Élisabeth II remet en lumière un principe fondamental des systèmes politiques : celui de la souveraineté. Qui détient la souveraineté, cette capacité de décider ultimement, dans nos communautés politiques ? Peut-il y avoir vacance de la souveraineté ? Ces questions sont importantes, car elles déterminent la légitimité des régimes politiques.

Qui règne ?

Régner, c’est exercer la souveraineté. L’exercice de la souveraineté se manifeste entre autres dans les républiques et les monarchies constitutionnelles. Dans une république, le peuple est la source de la souveraineté. Selon le philosophe Philip Pettit, le peuple dans une république peut exercer un contrôle sur un gouvernement composé de ses représentants élus. Ce contrôle assure que les décisions gouvernementales s’inscrivent dans le sens du bien commun. Le modèle républicain témoigne ainsi de l’habilitation des citoyens, de leur capacité de décider.

La source de la souveraineté dans une monarchie constitutionnelle est héréditaire : c’est celle du roi ou de la reine.

Leur exercice de la souveraineté est tempéré par une constitution – c’est le cas au Canada – ou par des conventions, comme au Royaume-Uni, avec le symbole du roi ou de la reine en son Parlement. Bien qu’il reçoive des conseils de la part des ministres élus, le monarque décide en bout de route.

Les modèles républicain et monarchique se sont opposés à maintes reprises dans l’histoire du Commonwealth britannique. Au XVIIe siècle, on a vu en Angleterre l’instauration d’une république éphémère sous Oliver Cromwell. Après les indépendances, l’Irlande, l’Inde comme de nombreux pays asiatiques et africains sont devenus des républiques, et la Barbade vient récemment d’adopter ce modèle. Il y a eu en Australie un référendum sur cette question en 1999. Le gouvernement de Pierre Trudeau a écarté ce modèle et la Loi constitutionnelle de 1982 stipule que la reine est celle du Canada. Il n’empêche que le sentiment en faveur de la république est diffus, mais constant, notamment au Québec. La légitimité de la monarchie s’en trouve amoindrie.

La dévolution de l’autorité

En étudiant la culture politique britannique depuis le Moyen Âge, l’historien Ernst Kantorowitz indiquait qu’il n’y existait pas de vacance de la royauté. Le corps physique du roi meurt, mais son corps spirituel vit constamment, car il en va de la continuité de l’État. Le principe de la dévolution est au cœur du régime politique en assurant la stabilité du régime politique à travers le temps. Ainsi, l’Assemblée nationale du Québec a adopté en 2021 la loi 17, stipulant que le décès éventuel du souverain ne mettrait pas un terme ou n’interromprait pas les activités du Parlement du Québec, du gouvernement et des tribunaux, de quelque manière que ce soit. Puisque l’autorité se transmet sans interruption d’un souverain à un autre, la permanence du régime est alors garantie, assurant le maintien de l’ordre et de la légitimité.

En effet, la légitimité repose notamment sur l’ancienneté, sur les habitudes et les coutumes qui se sont accumulées au fil du temps.

Puisque ses origines sont lointaines, la monarchie semble légitime pour ses sujets. Ils se sont habitués à ce qu’un monarque règne, car il en irait de l’ordre des choses. En dépit de plusieurs péripéties, le règne d’Élisabeth II a renforcé parmi plusieurs de ses sujets la légitimité du régime, d’autant plus qu’il a été d’une longueur exceptionnelle.

Désormais, l’accession de Charles au trône impose de nouvelles questions. Même si elle est garante de la stabilité du régime, est-il toujours légitime de confier à un héritier la responsabilité de la souveraineté ? Est-ce plutôt celle des citoyens ?

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