En période de campagne électorale, la spéculation concernant la « question de l’urne » est un exercice auquel se livrent de nombreux analystes. Cette expression, qui est un calque de l’anglais the ballot question, sert à identifier la question qui sera décisive lors de la journée du scrutin.

Baisse d’impôt, suspension de la TVQ et chèques aux plus démunis sont autant de solutions que tentent d’apporter les partis politiques pour contrer les effets de l’inflation qui semble être un des enjeux déterminants de cette campagne électorale.

Mais ces différentes promesses n’ont rien d’exceptionnel. La gestion des fonds publics est chaque jour discutée d’une manière ou d’une autre durant les sessions parlementaires. On connaît la chanson : les oppositions critiquent le gouvernement sur sa mauvaise gestion et lui reprochent le manque d’argent en éducation, en santé et dans les poches des Québécois.

Tout ça relève du business as usual, alors que les élections générales devraient justement être un moment inhabituel où on est capable de se poser des questions de fond rarement débattues.

Une question en particulier servirait à marquer les lignes de fracture importantes, c’est celle de savoir à quel Québec aspirent les chefs de parti à l’horizon 2100.

Il y a bien sûr quelque chose d’absurde dans l’idée de demander aux politiciens de réfléchir sur une échelle de 80 ans. L’avantage est toutefois de forcer les partis à se positionner sur des problématiques qui ne se vivent peut-être pas au quotidien, mais qui ont une importance considérable dans l’histoire d’un peuple.

Les chiffres du recensement de 2021 de Statistique Canada montrent que le poids du Québec dans le Canada poursuit son déclin. Il y a 80 ans, le Québec formait 29 % de la population canadienne. Aujourd’hui, c’est 23 %. Que peut-on s’imaginer pour 2100 ? Rien n’indique que la tendance ira en s’inversant, surtout lorsqu’on sait que le Canada aspire à accroître grandement sa population principalement en raison d’une immigration accrue. Certains, comme le groupe Century Initiative, militent pour qu’il y ait 100 millions de Canadiens à la fin du siècle.

Et si le Québec décidait d’augmenter ses seuils d’immigration ? Selon un sondage Léger de mai 2022⁠1, les Québécois sont majoritairement réfractaires à une hausse des seuils. On les comprend d’ailleurs lorsqu’on sait que le Québec a un faible taux de rétention de l’immigration et qu’une hausse des seuils s’accompagne de défis liés à la francisation, la pénurie de logements, etc.

L’horizon 2100 permet donc de poser une question claire aux politiciens : consentez-vous à ce que le Québec se minorise dans le Canada et qu’il devienne par conséquent de plus en plus insignifiant ?

Qu’on soit d’accord ou non avec lui, Paul St-Pierre Plamondon, le chef du Parti québécois, a l’avantage d’avoir une réponse claire à cette question : en étant souverain, le Québec-pays sera 100 % de lui-même, et non 23 % du Canada comme c’est le cas actuellement.

Mais qu’en est-il des chefs des autres partis ? Cette question ne reçoit aucune réponse claire de leur part et il ne suffit pas de proclamer que le Québec forme une nation comme François Legault l’a fait en début de semaine pour clore le débat.

Plus largement, l’enjeu du poids du Québec dans le Canada pose aussi celui de la relation entre ceux-ci. Nous soulignons cette année les 40 ans du rapatriement de la Constitution par Ottawa. Le Québec n’a toujours pas signé ce document qui est, faut-il le rappeler, la norme suprême en matière juridique, car elle fixe des règles qui sont au-dessus des lois votées par les élus.

L’enjeu ne se règlera pas demain matin, mais à l’horizon de 2100, est-ce que nos politiciens espèrent voir le Québec entrer dans le rang constitutionnel canadien ? Et sous quelles conditions ?

Les Québécois ont mis ces questions en sourdine en élisant la CAQ, car elle n’entend pas remettre en question le fédéralisme canadien tout en refusant de s’y plier bêtement. Il est de bon ton aujourd’hui de dire que le débat sur la relation Québec-Canada est une « vieille chicane ». On aime bien utiliser l’expression, comme l’a déjà fait Bernard Drainville lors de l’annonce de sa candidature, que « les Québécois sont ailleurs ». On peut penser que cette posture peut se tenir sur quatre ans. Mais cette posture, entre l’arbre et l’écorce, ne peut se tenir sur 80 ans.

Il est même loin d’être certain qu’elle puisse se tenir sur huit ans. Alors que la loi 21 sur la laïcité et la loi 96 sur le français subiront vraisemblablement le test des tribunaux fédéraux dans le prochain mandat, il semblerait que les caquistes et les Québécois réaliseront que la chicane d’hier est en réalité la chicane d’aujourd’hui et de demain.

La question de la place du Québec dans le Canada s’est posée de manière différente dans notre histoire, mais elle s’est posée de tout temps. Il semble que les Québécois ont le droit de voter sur cet enjeu, mais encore faut-il que les partis en débattent. La question de l’urne doit être celle de l’horizon 2100. Chers partis politiques, nous écoutons vos propositions.

1. Lisez « Immigration : Legault conforté par un sondage » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion