Le gouvernement russe et les juges qui en font partie ont déclaré « agents étrangers » plusieurs avocats de dissidents russes. Souvent, ces avocats ont reçu de l’argent de sources étrangères, que ce soit pour leur défense ou pour assister à des évènements à l’extérieur. Le résultat est que l’avocat sera forcé de dévoiler toutes ses données au gouvernement, y compris les dossiers liés à la défense de son client.

J’espère que cela vous inquiète et vous indigne, cette brèche aux principes sacro-saints voulant que chaque citoyen ait le droit à un avocat et que toute action de l’avocat et tout échange avec son client soient protégés par le privilège avocat-client. Évidemment, cela s’applique également quand il s’agit d’un litige avec le gouvernement, par exemple en droit criminel. Peu importe notre malaise quand un avocat habile, lors de la défense d’un mafieux, d’un criminel sexuel, d’un terroriste ou d’un tueur trouve l’argument ou la faute de procédure qui fera acquitter son client.

En Russie, par contre, c’est plutôt la souveraineté du pays, de l’État et du gouvernement qui prime et qui est invoquée afin de justifier toute limitation des droits des accusés et de leurs avocats, notamment quand il s’agit de contestation des actions du gouvernement au pouvoir.

Maintenant, je vous emmène aux Pays-Bas, où les cours de justice et d’arbitrage sont souvent appelées à trancher dans des litiges internationaux. Le caractère international de l’économie de ce pays explique en partie cette réalité, tout comme son droit international bien développé et, diront les mauvaises langues, son statut de paradis fiscal. Des centaines d’entreprises mondiales, dont certaines québécoises, y ont établi leur siège social ou encore des filiales administratives. Parmi elles, des entreprises russes, souvent d’importants producteurs de gaz naturel et de pétrole.

Sous les présidents Eltsine et Poutine, le gouvernement russe a joué un rôle actif dans la création de ces entreprises et leur vente, souvent à petit prix, à des amis du régime. Parmi eux, Mikhaïl Khodorkovski, ami de Poutine et copropriétaire de la pétrolière Ioukos. Or, quand Khodorkovski s’est tourné publiquement contre Poutine, la réaction a été immédiate et sans merci : il a été accusé de fraude et condamné à 10 ans de prison, et une autre accusation du genre a suivi. Il a été libéré en 2014. Entre-temps, les autorités russes ont réclamé des taxes faramineuses à Ioukos, causant sa faillite.

Le procès Ioukos

Mais Ioukos avait d’autres actionnaires. Depuis 2003, ceux-ci ont poursuivi l’État russe, aux Pays-Bas. Ayant perdu en première instance, ils ont gagné en appel. Le gouvernement russe a été condamné à un dédommagement de l’ordre de 50 milliards de dollars américains. Récemment, la Cour suprême des Pays-Bas a retourné la cause à la Cour d’appel.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, on dénonce le fait que des cabinets d’avocats à Amsterdam ont des revenus annuels importants provenant du gouvernement russe et de ses amis oligarques.

Le cabinet qui représentait le Kremlin a compris que les dommages collatéraux à sa réputation seront importants. Il n’acceptera plus de nouveaux cas de son client, dont il tirait des revenus annuels de plus de 10 millions. La question reste : que doit-on faire avec les procès en cours ? Comme Alexandre Navalny, Vladimir Poutine a droit à un avocat. Il est même obligé de se faire représenter par un avocat.

Entre-temps, l’avocat responsable du dossier Ioukos a quitté ce cabinet. Après qu’il eut plaidé la cause, mais avant la publication de la décision de la Cour suprême, le gouvernement des Pays-Bas l’a nommé juge à la Cour suprême, une nomination qui n’est pas contestée dans les médias. Poutine pourra en être fier.

Devant ce plat de spaghetti éthique, revenons au Québec. Immédiatement après l’invasion russe en Ukraine, les grands cabinets d’avocats présents au Québec ont fait les gestes inévitables : condamnation du gouvernement russe, retrait du marché russe, pas de nouveaux mandats pour les clients russes visés par des sanctions, etc.

Or, c’est comme avec la mafia. Poutine aussi a droit à un avocat. On ne connaîtra jamais les revenus que ces cabinets ont reçus de leurs (douteux) clients russes. Quelles constructions fiscales (et autres) leur ont-ils vendues afin de protéger leur empire noir ? Parfois, on se lave les mains, mais elles resteront sales.

* Ce texte est basé, en partie, sur un blogue de Diana de Wolff, professeure à l’Université van Amsterdam, publié en néerlandais le 3 mars 2022.

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