Vingt-huit millions et sept cent mille dollars (28,7 millions). C’est le prix qu’ont dû payer les contribuables québécois pour acquérir les terres agricoles connues sous le nom des terres des Sœurs de la Charité, du nom de leurs anciennes propriétaires.

Commençons par souligner que cette acquisition est une excellente nouvelle. Ces terres, qui s’étendent sur 203 hectares, sont de bonne qualité agronomique et elles sont cultivées depuis le XVIIe siècle. Elles sont de plus devenues un symbole depuis que le projet de les dézoner pour construire un quartier résidentiel a été bloqué par le gouvernement qui a refusé qu’elles soient inclues dans le périmètre urbain de la ville de Québec. Cette acquisition est aussi une victoire pour tous les groupes citoyens qui se sont mobilisés pour que ces terres puissent conserver leur vocation agricole. Le gouvernement, qui a le projet de faire de ces terres un projet innovant d’agroparc multifonctionnel, s’est engagé maintenant à entamer un processus de consultation. Les citoyens et les associations intéressées par ce qu’il va advenir pourront apporter leurs propositions. Cette consultation est importante pour construire un projet collectif avec les parties prenantes qui se sont battues pour éviter le dézonage et que pourront s’approprier les citoyens de la métropole.

On s’est peu intéressé en revanche au prix payé : 28,7 millions de dollars pour 203 hectares, c’est plus de 141 000 $ par hectare. Est-ce là le prix des terres agricoles ? Non. On est largement au-dessus.

En 2021, les terres agricoles se sont vendues en moyenne entre 3700 $ l’hectare dans la région la moins chère (Abitibi-Témiscamingue) et 46 500 $ dans la région la plus chère (Montérégie). En clair, le gouvernement québécois a dû débourser pour acquérir les terres des Sœurs de la Charité plus de trois fois le prix moyen de la valeur des terres agricoles de la région la plus chère du Québec.

PHOTO ERICK LABBÉ, LE SOLEIL

Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, et sœur Monique Gervais, supérieure générale des Sœurs de la Charité

Pourtant, le Québec dispose d’une loi, la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA). Ces terres sont zonées vertes, c’est-à-dire qu’elles sont protégées par cette loi pour un usage agricole. Les tentatives de la fondation Dallaire, promoteur du projet résidentiel soutenu à l’époque par l’ancien maire de Québec, de les dézoner ont échoué.

Dérive spéculative

Comment se fait-il alors qu’on les paie si cher ? La dérive spéculative du prix des terres agricoles dans les zones urbaines témoigne des difficultés rencontrées par la LPTAA pour jouer pleinement son rôle de protection. Si, lors de la première transaction, la fondation Dallaire a accepté de payer 39 millions de dollars pour acquérir ces terres, c’était évidemment en tenant pour acquis que ces terres seraient dézonées. Il en est de même dans de nombreuses périphéries urbaines. Certes, le gouvernement les paie aujourd’hui nettement moins cher que la somme déboursée par la fondation Dallaire. Mais il n’empêche que si la protection apportée par la LPTAA apparaissait plus solide, si des spéculateurs perdaient vraiment gros en pariant sur un dézonage qui n’arriverait pas, les ardeurs se calmeraient et nous aurions pu acquérir ces terres à leur vrai prix agricole, soit environ 40 000 $ par hectare.

Pendant ce temps, dans certaines zones rurales plus éloignées, là où l’agriculture peine parfois à occuper pleinement le territoire qui lui est réservé, de petites municipalités rurales s’éteignent doucement, faute justement de pouvoir parfois s’étaler un peu.

Parallèlement, d’autres zones rurales s’embourgeoisent et accueillent des populations aisées capables d’acquérir de grandes superficies agricoles au détriment des populations locales et de nouveaux projets agricoles.

Même si la Commission de la protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) a pour mandat de tenir compte des enjeux locaux, notamment ceux relatifs à la vitalité des collectivités, avant de rendre ses décisions, il est sans doute temps de réfléchir à ce qu’il faudrait faire pour que la LPTAA protège vraiment les terres agricoles dans les zones menacées par l’étalement urbain, tienne compte des inégalités sociales d’accès au foncier qui se dessinent de plus en plus et permette dans le même temps aux collectivités des territoires plus périphériques de pouvoir réinvestir les rangs et habiter le territoire avec des projets multifonctionnels.

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