Chers dirigeants publics et privés, en adoptant des solutions simplistes à des problèmes complexes, vous vous exposez à des scandales.

Le programme des chaires de recherche du Canada instauré par le gouvernement fédéral investit jusqu’à 311 millions de dollars par année afin d’attirer et de retenir au pays les meilleurs chercheurs au monde.

Le gouvernement exige que les établissements bénéficiant de ce programme favorisent la participation des personnes appartenant à quatre groupes marginalisés : « les personnes de minorités racisées, les Autochtones, les personnes handicapées et les femmes ». Les institutions sont ainsi tenues de fixer des cibles liées à la représentativité de ces personnes au sein des chaires de recherche.

Le département de biologie de la faculté des sciences et de génie de l’Université Laval sollicite des candidatures aux postes de titulaires de chaires de recherche au Canada au sein de l’Université. En vertu des exigences du gouvernement fédéral et de la politique en matière d’équité, de diversité et d’inclusion applicable de l’Université, le Département écrit ce qui suit dans son appel de candidatures : « seules les personnes candidates possédant les compétences requises ET s’étant auto-identifiées comme membres d’au moins un de ces quatre groupes seront sélectionnées au terme du présent concours ».

Le 28 mars, l’humoriste Guy Nantel a relayé l’appel de candidatures sur Twitter, parlant de l’exclusion du « jeune homme blanc non handicapé ». Il n’en a pas fallu plus pour que l’affaire soulève une tempête au sein de toute la classe politique québécoise. Je vais y revenir, mais laissez-moi d’abord distinguer la pensée systémique et la pensée systématique.

Deux modes de pensée

Commençons par une histoire, afin de ne pas vous endormir d’emblée avec de la théorie

Il y a quelques années, je recherchais une personne spécialiste en ressources humaines afin de pourvoir un siège au sein du conseil d’administration d’un organisme à but non lucratif. Au cours de la même période, j’ai fait la rencontre d’une personne répondant à plusieurs critères du profil recherché, dont une expertise en ressources humaines ainsi qu’une expérience importante en gouvernance.

Cette personne s’est proposée afin de pourvoir le poste vacant. Je n’ai pas d’entrée de jeu refusé, mais je lui ai demandé si elle ne connaissait pas d’autres personnes répondant à nos objectifs de parité.

Voyez-vous, la personne en question était un homme, alors que le conseil d’administration au sein duquel un siège était vacant était confronté à une sous-représentation de femmes. Cet homme, donc, ne fut pas insulté par ma réponse. Au contraire, il m’a informé que sa conjointe était une gestionnaire de haut niveau en ressources humaines et qu’elle pourrait être disponible. Au terme de notre processus de sélection, c’est cette femme que nous avons choisie. Elle a siégé au sein du conseil d’administration pendant cinq ans et y a contribué avec brio.

J’en parle parce qu’il aurait été facile d’arrêter les efforts de sélection après avoir identifié l’excellente candidature de l’homme. Mais la volonté de parité au sein du conseil d’administration a justifié que la recherche se poursuive, ce qui a laissé place à ce que l’homme lui-même contribue à notre priorité.

Ce qui nous ramène à la distinction entre « systématique » et « systémique ».

Exclusion systémique

Au sein d’un groupe, qu’il s’agisse d’un conseil d’administration, d’une université ou d’un gouvernement, le phénomène de sous-représentation relève d’une exclusion systémique. Celle-ci met en cause l’interaction dynamique entre des phénomènes subjectifs tels que la conscience de chaque individu ainsi que la culture, et des phénomènes objectifs tels que les comportements individuels et les structures collectives. Loin d’être évident.

Un problème systémique nécessite une approche elle aussi systémique, ce qui requiert de naviguer entre les aspects subjectifs et objectifs de l’enjeu. Concrètement, ceci exige notamment de rendre explicites les principes qui prévalent dans une situation, de tenir compte du contexte, et d’agir de façon flexible en reconsidérant les règles, au besoin.

Candidature dilemmatique

C’est ce qui permet, si nous examinons l’histoire ci-dessus, de considérer la candidature d’un homme compétent, tout en sachant que sa sélection constituera nécessairement un obstacle à la parité, et du coup, à la compétence collective du conseil d’administration pouvant résulter de cette parité. C’est ce qui permet aussi de multiplier les mesures, dans toutes leurs nuances, afin de favoriser la parité. Est-ce qu’on choisit l’homme, alors, oui ou non ? Ça dépend. Chaque cas nécessite une analyse du contexte.

Or, nos institutions conventionnelles, telles que nos États et nos universités, se gouvernent surtout selon un mode de pensée systématique, qui néglige la subjectivité des personnes et des cultures. La pensée systématique repose surtout sur des expertises, des données objectives, des arguments qui se veulent rationnels et des plans linéaires. Il s’agit d’un mode de pensée nécessaire, mais insuffisant dans nombre de circonstances.

À mon avis, c’est ce mode de pensée semble avoir mené à l’exclusion systématique des hommes blancs non handicapés du concours lancé par le département de biologie de l’Université Laval. Je suis en faveur de la discrimination positive et des cibles contraignantes, mais je porte aussi l’opinion que celles-ci devraient laisser place à du jugement, tant dans l’appel de candidatures et leur analyse que dans l’évaluation des cibles. J’ose espérer que le gouvernement fédéral, l’Université Laval et tous les établissement bénéficiant du programme des chaires de recherche du Canada adapteront les règles applicables afin d’offrir une plus grande flexibilité.

Cela étant dit, entendons-nous : l’exclusion systématique doit être exercée avec prudence, mais se justifie dans plusieurs circonstances.

D’ailleurs, la classe politique au Québec trouverait probablement légitime l’idée de réserver des postes de titulaires à des chercheurs francophones hors du Québec.

Comment se fait-il, alors, qu’un cas isolé d’exclusion systématique d’hommes surreprésentés partout soulève un tollé au sein de tous les principaux partis politiques provinciaux au Québec, alors que l’exclusion systémique vécue quotidiennement par un ensemble de groupes sous-représentés fait autant de bruit que le son d’un criquet ?

Un exemple parmi des milliers ? Le juge Daniel Dortélus, le seul homme noir de toute la magistrature au Québec, prendra sa retraite en juillet prochain. Sortant exceptionnellement de sa réserve, le juge a écrit au ministre Simon Jolin-Barrette le 2 mars afin de déplorer un « déficit en matière de diversité au sein de la magistrature du Québec, toute juridiction confondue ». La suite ? Silence radio.

Le jupon de toute la classe politique dépasse. Visiblement, l’exclusion anecdotique des hommes blancs est un sujet plus payant politiquement.

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