J’ai toujours aimé le réveillon du jour de l’An. Plus que le réveillon de Noël. Bien sûr, je parle de ces évènements heureux qui avaient lieu dans cette belle époque où l’état d’urgence sanitaire ne nous empêchait pas de nous rassembler, et je dirais même, d’une époque qui remonte à plus loin encore.

Quand j’étais petite, j’étais fascinée par la musique particulière qui jouait dans la maison du matin au soir en cette dernière journée de l’année. C’était une musique festive, qui semblait venir de l’ancien temps et qui ne jouait pas à Noël. On entendait du violon, de l’accordéon et de l’harmonica, et les gens qui chantaient par-dessus ces airs joyeux roulaient leur « r » en tapant du pied.

Je me souviens que ces chansons racontaient des histoires étranges, par exemple, celle d’une dame qui avait un bouton sur le bout de la langue qui l’empêchait d’accomplir quelque chose, mais quoi exactement, c’était difficile à dire. J’avais beau ne pas en comprendre les paroles, il y avait tout de même, dans ces chansons, une sorte de rythme entraînant qui donnait envie de répéter les mots et de danser autour du sapin, sans trop se poser de questions.

Alors que j’étais encore en âge de croire au père Noël, j’aimais déjà beaucoup l’ambiance animée de ce moment du temps des Fêtes. Mais c’est seulement quand j’ai eu la permission de veiller jusqu’à minuit que le 31 décembre est devenu ma journée préférée de l’année.

À première vue, mis à part la musique qui différait et les cadeaux que l’on avait déballés quelques jours plus tôt, les festivités du Nouvel An pouvaient ressembler à celles qui se déroulaient le 24 décembre.

Ma mère cirait ses planchers avec un produit qui sentait le citron, on s’habillait chic, les manteaux s’empilaient sur le lit de mes parents, on mangeait des saucisses cocktails enroulées dans le bacon, Mr. Bean avait la tête coincée dans l’abdomen d’une énorme dinde, et plus l’heure avançait, plus mon père faisait des folies avec mes oncles, et plus mes tantes riaient fort.

Une tradition spéciale

Cependant, la dernière soirée de l’année était marquée d’une tradition spéciale. Un peu avant le coup de minuit, tous en chœur presque en criant, on faisait défiler à rebours les 10 dernières secondes de l’année, en se souhaitant ensuite que la vie devant chacun de nous soit belle et heureuse.

Le sapin illuminait le sous-sol de ses petites lumières multicolores, le mousseux coulait à flots, La Bottine souriante faisait aller ses violoneux, et tout le monde s’enlaçait en s’embrassant sur les joues.

C’est un moment qui m’a toujours paru empreint de joie, mais chargé de toutes sortes d’émotions aussi.

Il me semble que, chaque année, quelqu’un finissait la soirée seul près du sapin, les yeux rouges et luisants, sans que personne n’ose demander s’il s’agissait d’un moment de douce nostalgie ou de profond chagrin.

Il faut dire que ce n’est pas parce qu’on acclame la première journée de l’année en soufflant dans une trompette de plastique et en tapant des mains qu’on a nécessairement le cœur à la fête. Parfois, l’humeur festive des gens ne tient qu’à un fil, mais pour éviter de décevoir ceux qui ont arrosé la dinde toute la journée, il arrive que ces âmes en peine s’accrochent un sourire de force tout en se tenant à proximité du bol à punch.

Le temps qui passe

Un jour, j’ai réalisé que les festivités du 31 décembre ne servaient pas seulement à célébrer le commencement d’une nouvelle année, mais que ce rendez-vous annuel était aussi une occasion de souligner le fait que le temps passe.

Quand on y réfléchit bien, faire le décompte à voix haute des dernières secondes de l’année est un rituel curieux, mais qui a une certaine utilité. En fait, cette pratique produit probablement le même effet sur l’imaginaire humain que celle qui consiste à placer le nombre de bougies correspondant à l’âge du fêté sur son gâteau d’anniversaire.

Cela matérialise en quelque sorte l’écoulement de l’existence, un phénomène bien réel, quoique silencieux et invisible. Au fond, changer de date en lançant des confettis dans les airs revient au même que de changer d’âge en criant hip hip hip hourra entouré de guirlandes et de ballons de toutes les couleurs : c’est une manière de prendre conscience que même si dans l’immédiat rien ne paraît, en réalité, ce temps qui nous appartient est compté.

Aujourd’hui encore, la dernière journée de l’année demeure pour moi un jour de fête que j’aime célébrer, entre autres parce que ce moment marque aussi le début d’un nouveau départ, d’un cycle neuf où tout peut arriver, parce que tout est encore possible.

D’ailleurs, nous sommes nombreux à nous projeter dans cet avenir avec confiance et résolution, en nous promettant en notre for intérieur que nous prendrons soin de nous, tout en nous souhaitant les uns les autres du bonheur, de la santé, de l’amour et du succès.

Mais peut-être que l’une des plus belles choses que nous pourrions espérer pour l’année à venir, c’est qu’à pareille date l’an prochain, rien ne nous empêche de nous réunir avec ceux qu’on aime. Que nous puissions à nouveau nous retrouver sereinement, habillés chic devant le sapin illuminé, à boire du mousseux autour d’une couronne de crevettes et d’une trempette à crudités, la Bolduc turluttant en trame de fond.

Après tout, nous rassembler pour compter haut et fort les secondes qui nous mèneront vers une nouvelle page du calendrier n’est pas qu’une douce occasion de nous rappeler que nous traversons le temps ensemble ; c’est aussi une tradition précieuse. Et ça n’arrive rien qu’une fois par année.

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