Le dogme catholique du corps mystique, qui ne manque pas de poésie il faut l’admettre, avance que l’Église, Épouse du Christ, serait le « corps matériel du Christ » dans le monde. Aussi appelé communion des saints, ce point de la doctrine expose l’union des fidèles ici-bas avec les saints « dans la gloire du ciel ».

Voilà qui n’est pas bien clair… Ce qu’il faut à peu près comprendre à ce langage désuet, bizarre mais combien imagé, c’est que faire entrer un saint dans le ciel catholique, c’est le constituer une partie de soi, un membre de son corps. C’est ce qu’a fait Jean-Paul II en béatifiant Kateri Tekakwitha lors des 300 ans de sa mort en 1980.

Surnommée le « lys des Mohawks », cette Iroquoise de la nation Kanyen’kehà:ka mourut convertie et « en odeur de sainteté » à la mission jésuite de Saint-François-Xavier de Kahnawake, en 1680. Canonisée depuis par Benoit XVI, elle est célébrée par les catholiques le 17 avril et le 14 juillet, aujourd’hui même.

Le clergé québécois aime beaucoup cette petite sainte Iroquoise. N’est-elle pas, à l’en croire du moins, une sorte de caution morale d’une Église qui reconnaîtrait sa faute ? D’autres, peut-être, trouveront cette récupération symbolique de mauvais goût. Jean-Paul II n’avait-il pas dit même, des suites de ses rapprochements avec « ses frères et sœurs », au cours de sa visite dans le Nord du Canada en 1984, que le Christ par sa souffrance et « les membres de son corps, était lui-même Indien » ?

On pourra, bien entendu, déchirer sa chemise autant qu’on le souhaitera à propos de cette déclaration psychédélique, visionnaire peut-être. N’empêche, elle fit un très grand bien, dit-on, et parions que des excuses du pape en feraient un plus grand encore.

Les Autochtones, divisés au sujet de Kateri, sont nombreux tout de même, catholiques ou non, à l’aimer. Ils étaient plus de 200 à se rendre au Vatican pour sa canonisation, évènement vécu par plusieurs comme un baume sur leurs blessures spirituelles.

Suivant sa canonisation, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Shawn A-in-chut Atleo, avait déclaré à son propos qu’elle était « une source d’inspiration pour nombre de nos citoyens qui ont connu des temps difficiles, y compris ceux qui ressentent toujours les effets du traumatisme engendré par les pensionnats ». Ron Boyer, diacre ojibway de la paroisse de Kahnawake, déclarait quant à lui que « Kateri a été choisie par Dieu, notre Créateur, pour être un modèle pour les Autochtones, dans leur lutte pour être reconnus […] une inspiration dans le processus de guérison de nos cultures ».

Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation nous renseigne sur l’importance du traumatisme spirituel engendré par les pensionnats et leur entreprise d’acculturation.

Un survivant des pensionnats, Théodore Fontaine, déclarait à la Commission que malgré « la violence sexuelle, la violence physique et psychologique » qu’il avait subies, la chose dont il estimait avoir « le plus souffert est la violence spirituelle ».

Les Autochtones, traditionalistes ou non, sont des gens profondément pénétrés par la spiritualité. C’est pourquoi une offense spirituelle appelle bien souvent, chez eux, à une réparation et une guérison de même nature.

La béatification de Kateri, voulue comme un beau geste de la part de l’Église, est peut-être maladroite, ou encore mieux, raciste, diront certains, mais elle n’est pas, pour autant, complètement à côté de la plaque en ce qui regarde à l’intention. Montrer que ces gens aussi prennent part à notre tradition. Qu’ils font corps avec nous, avec nos institutions civiles et religieuses.

L’importance du rite, de la cérémonie et des solennités traditionnelles sont au cœur de la renaissance autochtone actuelle. Les Premiers Peuples confèrent un grand pouvoir guérisseur à leurs traditions aussi bien, il semble, qu’à celles des autres, pour lesquelles ils témoignent souvent d’un respect édifiant. Un aîné confiait par exemple à la Commission que, bien que n’étant pas chrétien, il avait une « haute estime pour cet Esprit qu’on appelle Jésus ». Réputée plus syncrétique et tolérante que les trois grands monothéismes, leur foi s’accommode bien des emprunts et des synthèses.

« Blessures spirituelles », voilà qui promet, dans tous les cas, d’être difficile à faire admettre aux Québécois, dont le vomissement du religieux confine bien souvent à l’acharnement maladif. Que trouverons-nous à dire lorsqu’il faudra entamer un dialogue respectueux avec ces gens dont la vision du monde, bien plus symbolique que la nôtre, nous parle d’un foisonnement extraordinaire du vivant, de l’enchâssement de l’humain dans son territoire et de sa solidarité de condition avec ce qui giboie dans les forêts et fraye dans les rivières ?

Aurons-nous le culot de nous moquer des plumes et des fumigations, nous qui ne croyons en rien d’autre que le Canadien de Montréal, la belle pelouse de banlieue et la retraite à 60 ans ?

Leur parlerons-nous peut-être de notre amour du golf et du besoin que nous ressentions de construire des greens sur leur cimetière traditionnel ? Leur parlerons-nous du respect de nos ancêtres que nous estimons être des imbéciles et des fanatiques religieux ? Leur parlerons-nous plutôt de notre attachement au territoire, dont l’exploitation effrénée tourne au saccage ? De quoi donc, en fait, leur parlerons-nous ?

Comment parviendrons-nous, nous aussi, à dire la douleur de notre échec, à parler de ce qui se brise au plus profond de notre humanité, et jusqu’au ciel peut-être, quand un enfant meurt loin de sa mère ?

En souhaitant donc à tous – pourquoi pas – une bonne célébration de la sainte Kateri !

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