On peut penser que, par son exemple, Brigitte Bardot a davantage fait pour l’avancement des femmes en France que Simone de Beauvoir par ses écrits.

Par son franc-parler, l’existence résolument libre qu’elle a menée sans s’excuser, dans les années 1960, à la manière d’un « mec » comme on disait, ce sex-symbol français a diffusé à la grandeur de la planète un modèle de femme libérée moderne comme on n’en avait pas vu auparavant.

L’influence de son livre Le deuxième sexe ne saurait faire oublier que Simone de Beauvoir ne fut pas si féministe que cela dans sa vie privée, reconnaissant jusqu’à la fin la primauté intellectuelle de son compagnon, le philosophe Jean-Paul Sartre, dont plusieurs estiment aujourd’hui qu’il ne la valait pas.

Le mariage de Michel Girouard

C’est à cette différence entre les beaux discours et la force du vécu à laquelle j’ai notamment pensé lors du récent décès de Michel Girouard, l’un des personnages les plus originaux et les plus fascinants de la culture populaire du Québec issu de la Révolution tranquille.

On se souviendra qu’il avait eu en 1972 l’audace incroyable — plusieurs pensèrent la folie — de faire célébrer son mariage avec le pianiste Réjean Tremblay.

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Mariage de Michel Girouard et du pianiste Réjean Tremblay, le 13 février 1972

J’ai gardé un souvenir d’autant plus fort de l’affaire que son compagnon avait étudié au même Séminaire de Chicoutimi que moi. Ce geste, qui fit à l’époque le tour du monde, était beaucoup plus courageux que ces innombrables coming outs identitaires auxquelles nous sommes maintenant confrontés et qui sont encouragés par la culture dominante.

Rappelons qu’à peine sortie du Code criminel par Pierre Elliott Trudeau, coup d’éclat qui le ferait connaître, l’homosexualité restait massivement sous le boisseau au début des années 1970. Les insultes de « fifs » et de « tapettes » nous étaient encore régulièrement lancées par les bien-pensants et les conformistes de l’époque, leurs héritiers d’aujourd’hui n’étant ironiquement plus capables de lire le mot « nègre » dans un texte sans sombrer dans la fureur ou tomber sans connaissance.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Girouard en 2017

Mais plus impressionnant encore que son mariage, ce fut le fait que Michel Girouard, loin de jouer au héros pour ce qu’il avait fait, continua de mener sa vie tambour battant comme si de rien n’était, ne craignant pas d’affirmer n’avoir jamais fait l’objet de discrimination en dépit d’une homosexualité aussi voyante que la sienne.

Cela n’est pas aussi invraisemblable qu’il pourrait le sembler de prime abord. Impliqué dans la production de la première émission de radio gaie québécoise à la fin des années 1970, je me souviens à quel point nous avions été surpris par le peu de réactions négatives, les nombreux messages d’encouragement reçus montrant au contraire que le Québec était — et reste encore — une société exceptionnellement tolérante.

Louvain le prince charmant

Quel contraste à première vue entre Michel Girouard et Michel Louvain ! Ce dernier nous a également quittés sous les regrets unanimes des Québécois séduits par la gentillesse et le professionnalisme de quelqu’un qui faisait véritablement partie de la famille.

Artiste-clé du début du show-business québécois dans les années 1950, le chanteur a réussi l’exploit de rester professionnellement actif jusqu’à la fin de sa vie, presque 70 ans plus tard.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Louvain en prestation au 39gala de l’ADISQ, en 2017

Ce n’est que maintenant qu’il est respectueux d’aborder publiquement l’homosexualité de celui qui s’était uni civilement avant son décès à son compagnon de 25 ans. Alors qu’il a fait l’objet un moment d’allusions malveillantes de la part d’humoristes, il est révélateur de l’affection que Michel Louvain inspirait aux Québécois que jamais son orientation sexuelle n’a été dévoilée publiquement en cette ère de salissage généralisé.

On nous dira que tout le monde savait, mais qu’importe. Et surtout, quelle leçon de vie ! Le chanteur qui a fait toute sa carrière sur l’amour des femmes aimait les hommes. Tout était faux, ricaneront certains, alors qu’en fait, tout était vrai : Michel Louvain adorait chanter des chansons d’amour aux femmes qui adoraient se faire chanter des chansons d’amour par Michel Louvain.

Pour combien d’entre elles, au fond, l’amant idéal serait un gai ? Comme si les hommes hétérosexuels les plus respectueux des femmes gardaient un côté un peu trop brut pour certaines d’entre elles, qui voudront toujours continuer de rêver à leur prince charmant de conte de fées.

Ce prince charmant de conte de fées, Michel Louvain le donnait à son public féminin. Ce fut la base de son succès.

Pour le reste, Michel Girouard et Michel Louvain se ressemblaient dans leur refus total de la victimisation revancharde si populaire de nos jours, leur positivisme sans faille et leur aptitude à vivre, chacun à sa façon, une homosexualité qui fut trop souvent un drame pour les gens de leur génération.

La vérité oblige à rappeler qu’ils furent longtemps regardés de haut par une intelligentsia incapable de reconnaître leur courage, leur professionnalisme et ce que leur parcours révélait sur notre condition à tous.

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