Il est 7h30, c’est l’heure de se réveiller. Esquintée ou reposée, d’humeur aimable ou exécrable, assoupie ou éveillée, il faut quitter le lit et suivre les directives.

Le rituel commence alors. On va m’aider à me laver avec des débarbouillettes, car la douche comme dimanche, elle n’est pas pour tous les jours. J’enfilerai ensuite mes habits de jour avec assistance, tantôt bienveillante, tantôt désobligeante, un semblant coiffure et je suis prête pour le déjeuner.

On me dirige vers la salle commune où on me sert un café et des toasts avec confiture ; il semblerait que c’est mon déjeuner préféré. Je retrouve mes compères, chacune son déjeuner préféré, et ensemble nous déjeunons en partageant notre solitude. Une fois notre repas terminé et notre médication prise, il est temps de rester devant la télé jusqu’au dîner. Et moi qui espérais retourner au lit, apparemment je ne dois pas faire de sieste de crainte que je ne dorme pas le soir. Alors soit pour la télé. Après tout, ce serait un crime abominable de ne pas dormir le soir et d’empêcher le personnel de dormir à son tour.

Le dîner arrive, on nous sert un repas équilibré, dit-on. Je m’empresse de finir mon assiette, pas parce que le repas est délicieux, mais parce que la fin du dîner annonce l’après-midi d’activités, si bien entendu un bénévole vient nous divertir. Sinon, c’est encore la télé jusqu’à l’heure de la collation. Puis télé jusqu’au souper. Après le souper, on me prépare pour dormir : soudain, le lit qui m’a été interdit toute la journée m’est enfin imposé.

La journée se termine et le lendemain reprend ce que la veille a pu amener, une routine harassante à laquelle il faut se plier sans se plaindre.

Triste réalité

Voilà, vous venez de passer 24 heures dans la peau d’une personne âgée dans un établissement pour aînés. J’exagère à peine. Telle est la triste réalité de ces résidences : le manque de personnel, le manque de moyens et le souci de vouloir faire assez d’argent pour garder la maison ouverte font en sorte que les services rendus suscitent quelquefois des interrogations.

Loin de moi l’idée de me lancer dans une généralisation hâtive, mais j’ai eu l’occasion de travailler dans au moins trois résidences pour personnes âgées dans mon ancienne vie (étant infirmière de formation) et les ressemblances sont frappantes. Il n’est pas possible d’offrir une douche à tout le monde sur une base quotidienne, il n’est pas possible de prendre son temps avec chaque résidant, les risques de blessure sont élevés, que ce soit pour les résidants ou pour le personnel, et j’en passe.

Il m’est arrivé de travailler dans une résidence où j’étais la seule préposée aux bénéficiaires la fin de semaine. La seule.

Pensez-vous que pendant deux jours, personne n’a eu droit à la douche parce que je suis sans cœur ? Non, simplement parce que je ne peux pas être avec une personne dans la salle de bains et laisser le reste des résidants sans surveillance.

Je n’ai choisi que de simples aspects à relater dans une journée d’une personne âgée en résidence. Je ne vous parle même pas de l’absence de diététiciens, d’ergothérapeutes, de chiropraticiens ou de podiatres qui devraient voir au moins une fois par mois ces gens et adapter leur mode de vie pour éviter des accidents, par exemple. Alors, pardonnez-moi si je suis abasourdie de voir tout le monde surpris que la COVID-19 fasse des ravages dans les résidences pour personnes âgées, tous types de résidences confondus.

Pourquoi ne faut-il pas être surpris ? 

C’est simple, je vous explique. La vieillesse s’accompagne de grands changements physiologiques dont la diminution de la digestion, le ralentissement de la division cellulaire, la diminution continuelle de la masse musculaire, l’affaiblissement du système immunitaire, entre autres choses.

Toute contrainte comme se lever tôt, ne pas répondre aux signes de fatigue du corps, ne pas avoir une alimentation équilibrée et riche en vitamines et minéraux constitue un stress qui affaiblit encore plus le système immunitaire. L’atonie et le manque de vie sociale présentent à leur tour un stress psychologique qui fragilise encore plus les personnes âgées. Si vous combinez ces conditions et que vous y ajoutez le partage de l’espace de vie, vous obtenez un terreau fertile pour n’importe quelle épidémie. Voilà pourquoi il ne faut malheureusement pas être surpris que la COVID-19 frappe sans merci dans ces milieux de vie.

Les conditions de vie des personnes en résidence sont déplorées depuis longtemps, même par le personnel et les propriétaires des résidences privées.

Il a fallu une pandémie pour se rendre compte que nos résidences ne sont pas bien équipées, que nous manquons affreusement de personnel pour y travailler et que la fragilité de cet environnement ne tient qu’à un fil.

Je ne diabolise personne. Je suis consciente que les gens font tout ce qu’ils peuvent pour bien servir nos aînés ; j’aimerais seulement que l’on se pose les vraies questions. Pourquoi a-t-on de moins en moins de gens qui choisissent d’être préposés aux bénéficiaires ? Pourquoi n’alimentons-nous pas nos résidences avec les robotiques médicales dernier cri ? Pourquoi n’avons-nous pas écouté le cri de cœur du personnel ?

Conditions de vie dans les résidences

Il est très louable de la part du gouvernement de prêter une attention particulière au dossier et de faire de la sécurité des personnes âgées une priorité. Toutefois, ce qui devrait accompagner cette démarche, c’est la mise en place d’une cellule qui se pencherait sur les conditions de vie dans les résidences sans attendre la fin de la crise.

Plus que jamais, nous avons besoin d’une équipe multidisciplinaire, de communicateurs, de sociologues, de gériatres, de psychologues, d’économistes, de gestionnaires de changement et de gens du terrain.

Une équipe qui traiterait ce problème complexe dans un esprit d’exhaustivité afin de le comprendre et de trouver de vraies solutions durables et dignes de notre nation.

Que cet indispensable exercice échoue, et nous aurons de sérieuses raisons de craindre pour la sécurité de nos aînés à chaque poussée pandémique.

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