Il y a un mystère qui perdure depuis la création du marché du carbone, que le gouvernement n'a pas du tout éclairci avec le budget de mercredi: à quoi vont servir les 500 millions recueillis annuellement, de 2015 à 2020, à la suite des enchères d'unités d'émissions de gaz à effet serre (GES)?

Si, officiellement, ce total de 3 milliards viendra gonfler le Fonds vert, qui était principalement alimenté depuis 2007 par les 200 millions annuels de la redevance sur les carburants et les combustibles fossiles, l'augmentation importante des contributions mériterait qu'on explique mieux aux Québécois comment cet argent va être utilisé. Cela est d'autant plus vrai que ce sont tous les acheteurs de carburants fossiles (essence, diesel, mazout, gaz naturel, propane...) qui vont devoir payer davantage, à partir de 2015: 2,8¢/litre d'essence et 2,3¢/mètre cube de gaz naturel.

Cette augmentation est liée à la fin de la redevance sur les carburants et à l'obligation pour les distributeurs d'énergie, à partir de 2015, d'acheter sur le marché du carbone un nombre d'unités d'émissions (droit d'émettre une tonne de CO2) équivalant aux émissions que les combustibles fossiles vont dégager.

Déjà, le gouvernement québécois a vendu 7,4 millions de tonnes de CO2 et récolté plus de 82 millions des 29 participants aux trois enchères d'unités d'émission de décembre 2013, février et mai 2014. Ces participants, essentiellement des émetteurs industriels et des distributeurs d'énergie, mais aussi des particuliers1, se soumettent au marché du carbone le plus souvent par obligation. Il est évident que ces coûts supplémentaires vont être refilés aux consommateurs. C'est normal, puisque ce sont eux les émetteurs/pollueurs finaux. Mais pour comprendre et accepter ce nouveau coût, il faudrait que le gouvernement annonce à quoi va servir l'argent.

Pierre Arcand lui-même, l'actuel ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles (et ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, responsable du Fonds vert, de 2010 à 2012) avait déclaré lors d'un débat de la dernière campagne électorale qu'il était important de clarifier comment les nouvelles ressources du Fonds vert allaient être dépensées. Des groupes comme TRANSIT, militant pour un meilleur financement des transports collectifs, déplorent qu'on n'attribue pas explicitement cet argent à des initiatives favorisant le transport collectif - pour justement développer les solutions de remplacement à la consommation d'essence individuelle, et permettre de réduire rapidement les émissions de GES.

Le Fonds vert, depuis 2007, soulève beaucoup de questions quant à sa manière de dépenser l'argent, normalement pour des projets réduisant les émissions de GES. Le Vérificateur général du Québec avait sévèrement critiqué en 2012 la gouvernance, l'efficience, le suivi et la réédition de compte du Plan d'action 2006-2012 sur les changements climatiques, directement financé par le Fonds vert.

Aucun changement visible dans sa structure ne peut être décelé de l'extérieur, et pourtant les ressources qui vont lui être allouées vont plus que doubler. Si le Fonds vert est opaque, on sait tout de même que plus de 700 millions de dollars n'étaient pas dépensés en mars 2012, pour un plan d'action de 6 ans qui se terminait... en 2012! Aucune nouvelle de ces millions et des nouveaux revenus n'est disponible depuis, et on ne sait à peu près rien du plan d'action 2013-2020.

Nous entrons dans une période budgétaire difficile. Les Québécois devront aussi faire des efforts financiers supplémentaires pour réduire les GES. Il est urgent de financer toutes les initiatives pouvant réduire rapidement nos émissions de GES, surtout en transport (responsable de 42% de nos émissions). En n'étant pas plus transparent et proactif sur le Fonds vert, le gouvernement se prépare des problèmes. Les Québécois doivent savoir comment ces trois milliards seront dépensés, sinon c'est un lien de confiance important qui ne sera pas établi.

1 L'auteur a lui-même participé aux enchères du gouvernement du Québec du 27 mai 2014 et a ainsi contribué au Fonds vert en achetant 1000 unités d'émission de GES.

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