Les rues des plus grandes villes du Brésil sont envahies chaque soir par des manifestants qui dénoncent les inégalités sociales, la vie chère et, au lendemain des premiers affrontements, la violence policière. Ce qui a commencé par un attroupement de quelques centaines de personnes aux abords du Maracana, le grand stade de Rio, s'est transformé en marée humaine avec son lot habituel de violence et de destruction.

Les dernières manifestations d'importance remontaient à 1992. La rue s'est alors animée pour réclamer, avec succès, la démission du président Collor, convaincu de corruption. Hier encore, tout semblait tranquille; la cote de popularité de la présidente Dilma Rousseff est au plus haut (75%), la pauvreté régresse, la classe moyenne augmente, accédant comme jamais au confort de la consommation. Les préparatifs s'accélèrent pour recevoir la Coupe du monde de football en 2014, suivie des Jeux olympiques en 2016. Alors pourquoi cette contestation?

Une hausse de 20 centimes (10 sous) des tarifs des transports en commun aurait servi d'étincelle. Pourquoi payer plus pour un service déficient, inconfortable et dangereux? Les pouvoirs publics ont depuis fait marche arrière, mais cela ne changera rien à la grogne.

Dénoncer les dépenses somptuaires consacrées à la préparation grands rendez-vous sportifs est un autre prétexte. On le déplore depuis cinq ans. Malgré les progrès des dernières années, les inégalités sociales demeurent très élevées. La contestation en cours est l'expression des attentes croissantes d'une fraction de la population, souvent jeune, qui ne comprend pas les plus pauvres, pour une vie meilleure.

La croissance économique marque des signes d'essoufflement. Après l'euphorie en 2010 d'une croissance de 7,9%, celle-ci est retombée à 2,8% en 2011, puis à 0,9% en 2012. L'inflation est en hausse à 7%, provoquant une augmentation du coût de la vie alors que les salaires stagnent. Les taux d'intérêt remontent, amenant le recul du crédit et donc de la consommation.

Ce sont les jeunes des villes qui manifestent, ceux qui voient les gains de la croissance leur échapper. Ils sont nombreux à avoir acheté une première voiture à crédit. Ils craignent l'appauvrissement, s'inquiètent de devoir envoyer leurs enfants à l'école publique, souvent médiocre, et faire soigner leurs parents dans des hôpitaux délabrés. Ils redoutent la répression policière. L'espoir est aussi fugitif qu'un amour de carnaval.

L'ancien président Cardoso a déclaré: «Le Brésil n'est pas un pays pauvre, c'est un pays injuste.» La phrase évoque l'économie, elle se vérifie davantage dans la distribution du pouvoir. Le système électoral travestit la représentation politique. Les monopoles corporatifs consentis aux professionnels, fonctionnaires et syndicats constituent une élite intouchable. Jusqu'au simulacre populiste du budget participatif, qui se limite à proposer aux résidants des quartiers un choix dérisoire entre l'éclairage nocturne ou quelques mètres d'asphalte.

La génération qui gouverne est celle qui a lutté pour le retour de la démocratie. Capturée et torturée pour son implication dans la résistance armée au cours des années les plus sombres de la dictature militaire (1964-1985), la présidente Rousseff, après un silence de près de 10 jours, a prononcé un discours d'apaisement. Mardi, elle était à Sao Paulo pour chercher du renfort auprès de l'ancien président Lula. Elle est disposée à écouter et a renouvelé son engagement envers les réformes.

Les politiciens sont les principaux responsables du malaise social. Tous partis confondus, ils abusent de la connivence d'un système marqué par l'immobilisme, où règnent la petite et la grande corruption et l'impunité. Il est bon que les Brésiliens sortent de leur torpeur. Le football reviendra bien à son heure.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion