Si la nature humaine a horreur du vide, elle a également le fâcheux réflexe de s'intéresser principalement aux phénomènes qui la touchent directement et qui sont porteurs de changements ou de conséquences pour elle. À preuve, c'est en devenant parents qu'on se préoccupe des listes d'attente en garderie et des compressions en éducation et c'est en traversant le pont Champlain quotidiennement qu'on s'inquiète de sa décrépitude. Cette réaction n'est guère surprenante, mais elle n'en est pas moins symptomatique d'un certain nombrilisme.

Dans un billet du 28 mars 2013, Jean-François Dumas, président de la firme Influence Communication, qui fait la surveillance et l'analyse des médias, rapportait qu'en 2012, les nouvelles internationales se classaient au 19e rang des priorités médiatiques québécoises et suscitaient neuf fois moins d'intérêt que la cuisine. Les résultats de 2013, publiés dans le rapport État de la nouvelle, ne sont guère plus reluisants alors que l'actualité internationale occupe le 17e rang des grands thèmes traités par les médias, ce qui représente 0.81 % du contenu médiatique québécois, contrairement à 9.32 % pour le reste du Canada et 14.32 % ailleurs dans le monde.

J'éprouve un mélange de respect, de fascination et d'admiration pour les professionnels québécois, nés et formés ici, qui renoncent à leur stabilité et leur sécurité occidentales pour répondre à l'appel de l'ailleurs et se consacrer à des causes humanitaires internationales. Je pense à un ancien collègue, Me Pascal Paradis, qui a laissé le confort de la pratique privée dans un grand cabinet pour donner des ailes à Avocats sans frontière, une ONG qui soutient la défense des droits humains des groupes ou des personnes les plus vulnérables dans le monde.

Je pense aussi, et surtout, à Dre Joanne Liu, pédiatre originaire de Québec et présidente internationale de Médecins sans frontières (MSF). C'est la Dre Liu elle-même qui a sonné l'alarme la semaine dernière dans un cri du coeur lancé au siège de l'ONU afin de sensibiliser la planète à la gravité de l'épidémie d'Ebola qui sévit en Afrique. MSF estime que « le monde perd la bataille contre l'Ebola et que les États se contentent de rejoindre une coalition mondiale de l'inaction ». Cette inaction mondiale, c'est d'abord celle des gouvernements, mais également notre propre insouciance - sans malice, soit -, mais qui nourrit une certaine apathie envers les drames qui se déroulent au-delà de nos frontières.

Plus tôt cette année (La Presse, 21 avril et 1er juin 2014), la Dre Liu évoquait déjà son indignation devant l'indifférence collective à l'égard des tragédies humanitaires au coeur desquelles MSF est plongé, que ce soit en Syrie, au Soudan du Sud ou en Centrafrique. La timidité de la réaction mondiale dans le dossier de l'Ebola vient donc s'ajouter à une liste déjà trop pleine d'horreurs ignorées.

Il reste désolant de voir que notre intérêt à l'égard du virus Ebola se limite à nous assurer que les patients québécois suspects, périodiquement rapportés par les médias, ne sont finalement pas infectés par la terrible maladie et que notre système de santé est paré à réagir à une propagation éventuelle du virus. Rassurés sur notre propre sort, nous retournons rapidement à nos occupations pendant que dans certains pays africains directement touchés par l'épidémie, les cadavres, hautement infectieux, pourrissent dans les rues.

Si la mobilisation mondiale a permis au phénomène du Ice Bucket Challenge de faire pleuvoir les dons sur la Société de la sclérose latérale amyotrophique, nous sommes loin d'être impuissants. Des efforts concertés et des pressions sur les gouvernements permettraient d'interpeller la communauté internationale pour financer plus de lits, créer un réseau d'hôpitaux de campagne, envoyer du personnel médical et déployer des laboratoires volants. Il devient impératif de surmonter notre peur et notre incompréhension devant l'inconnu, de lever le nez de notre nombril et de répondre à l'appel à la sensibilisation qui est lancé.

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