La Cour suprême du Canada a tranché hier, en infirmant le jugement de la Cour d'appel: l'article 585 du Code civil du Québec, empêchant les conjoints de fait de réclamer une pension alimentaire pour eux-mêmes, n'est pas inconstitutionnel ni source de discrimination.

Il est regrettable que ce débat, qui soulève de fascinantes questions sociales et juridiques, ait fait son entrée sur la place publique par la porte de la démesure, par l'entremise des tribulations d'Éric et Lola, de leur mielleux conte de fées pour gens riches et célèbres qui a tourné au vinaigre, et par la voix d'une avocate reconnue pour sa flamboyance et ses extravagances. Le château, la pension de 400 000$ pour les enfants, la cuisinière et le chauffeur tiennent de l'anecdote, voire de la caricature.

Mais derrière Lola, sur le sort de qui personne ne pleurera, il existe des femmes, et de plus en plus d'hommes, qui sacrifient leurs projets, et parfois leur vie, pour permettre à leur conjoint de réaliser ses aspirations et ses ambitions et qui, devant l'échec de leur union, se retrouvent démunis et sans recours afin de reprendre leur destin en mains. Cette réalité est d'autant plus criante lorsque des enfants sont nés de la relation.

Au centre de l'arène s'affrontaient donc deux valeurs fondamentales: la liberté de vivre en union libre sans être inquiété des conséquences potentielles de cette alliance, et l'équité à l'égard d'un conjoint lésé ou victime d'une injustice au terme de l'union. Au coeur du litige, une question incontournable: à qui, des tribunaux ou du législateur, revient le rôle de trancher?

Devant la conséquence qu'aurait eu une confirmation du jugement de la Cour d'appel, soit de «marier» spontanément, et contre leur gré, 30% des couples québécois, les conclusions de la Cour suprême n'ont rien de surprenant.

Le plus haut tribunal du pays a-t-il ainsi manqué de courage en se débarrassant élégamment d'une patate chaude avec laquelle personne ne veut jongler? Je ne crois pas. La Cour suprême vient plutôt de déclarer qu'elle n'entendait pas intervenir dans les décisions du législateur, ce dernier ayant édicté les règles actuelles en fonction des changements sociaux et de l'affirmation de valeurs associées à l'individualisme.

Cet arrêt est sans contredit accueilli avec un soulagement certain. Il faudrait toutefois se rappeler, n'en déplaise à l'ex-ministre Jean-Marc Fournier qui a prétendu le contraire en décembre 2010, qu'il est illusoire de croire que tous les couples qui décident de vivre en union libre exercent un choix pleinement éclairé et qu'ils ont une parfaite connaissance des conséquences, financières et juridiques, de leur décision. Il est généralement coutume, lorsque la passion est à son apogée, d'espérer pour le meilleur plutôt que de planifier pour le pire.

La liberté aura donc eu préséance sur l'équité. Il continuera d'appartenir aux couples québécois vivant en union libre de s'éduquer sur les implications de leur choix et de prévoir des obligations contractuelles pour se protéger. Malheureusement, tous n'ont pas accès à ces ressources et le prix de cette liberté sera immanquablement le maintien d'inégalités et d'injustices. Mais c'est visiblement un prix que notre société, à tort ou à raison, est prête à payer.

Et puisque l'amour n'a que faire de la Cour suprême et du législateur, les êtres humains vont continuer de s'aimer, de s'unir; pour le meilleur et pour le pire.

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