À en croire les dernières indications, le gouvernement péquiste se préparerait à faire adopter une charte des valeurs québécoises très agressive en matière de laïcité. Il serait question d'interdire les symboles religieux ostentatoires chez les travailleurs de la fonction publique et parapublique.

De la commission Bouchard-Taylor jusqu'aux émois des derniers jours, on a pu remarquer que le thème est sensible chez les Québécois. Comme il l'est encore aujourd'hui en France, malgré les moyens énergiques qu'elle a pris à ce sujet historiquement. 

De fait, la question de la juste place du religieux dans une société sécularisée rejoint là celle du rapport à l'étranger: la tolérance et la diversité, oui, mais aussi l'intégrité culturelle. La liberté d'expression, certes, mais aussi la sécurité tant physique qu'identitaire. Dépendamment des accents que l'on met sur chaque terme, on appuie plus volontiers une laïcité «ouverte» ou «dure».

Les débats sur ces questions ont été nécessaires, on l'a constaté à la diversité d'opinions émises par des personnes de différents milieux. Mais ce qui agace avec le projet de charte du gouvernement actuel, c'est qu'il ne semble reposer sur rien, sinon un positionnement électoral ou un biais idéologique.

En effet, qu'est-ce qui justifie de provoquer un autre psychodrame? Sommes-nous embourbés dans une situation intenable? Les cas d'accommodements malheureux prolifèrent-ils tant? Pour limiter la liberté d'expression de citoyens, il faudrait un consensus fort, une raison d'État, ou au moins une situation de crise. Nous n'en sommes visiblement pas là. On veut corseter dans le niqab idéologique d'une charte une réalité mouvante, complexe, alors que la quasi-totalité des citoyens y évolue au quotidien avec souplesse.

Pour proscrire le port de symboles religieux dans la fonction publique et parapublique, il faudrait qu'il soit manifeste qu'un changement s'impose en ce sens dans ces milieux. 

Or la Commission Bouchard-Taylor n'a pas fait un tel diagnostic. Un bon point de départ serait d'ailleurs d'interroger les principaux intéressés: quelles observations les fonctionnaires, par exemple, font-ils sur le terrain? Que pensent-ils des changements projetés? Accueillent-ils avec enthousiasme l'éventualité de se retrancher encore davantage sous leur uniforme?

Bref, de quoi la fonction publique a-t-elle réellement besoin? 

À en croire un article paru dans le plus récent numéro de la revue Nouveau Projet, intitulé Érotiser l'État, ou comment (re) mettre du désir dans la fonction publique, l'exigence de réforme de la fonction publique n'a rien à voir avec un plus grand effacement de la personnalité des employés derrière leurs fonctions. Au contraire. 

L'article veut dégager le fonctionnaire de son image d'automate insensible, redonner au service de l'État l'attrait qu'il a déjà eu: «Le lien de l'érotisme avec l'État suggère qu'à l'inverse d'un lieu mort, cet espace peut être de nouveau chargé de désir».

Ce langage décomplexé sert une intuition juste: si l'on veut attirer les meilleurs esprits, les meilleures volontés au service du bien commun des Québécois, on doit faire en sorte que ce service puisse s'exercer dans un esprit le moins bureaucratique, le plus humain possible.

C'est tout aussi vrai dans la fonction parapublique: les enseignantes, infirmiers, éducatrices servent bien le Québec non pas lorsqu'ils affichent une neutralité d'apparence, mais lorsqu'ils s'engagent dans leurs fonctions avec fierté, avec tout ce qu'ils sont. 

Obliger certains de s'abstenir de porter un symbole religieux inoffensif alors qu'ils y tiennent est inutilement rabat-joie - et discriminatoire.

Rendre son charme au service de l'État, par-delà les généreux fonds de pension qu'il offre. Voilà un projet qui découle d'un besoin réel, et qu'une charte des valeurs québécoises viendrait contrecarrer plutôt que l'inverse.

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