Le président russe Vladimir Poutine sort grand gagnant des chassés-croisés diplomatiques observés depuis le début de la semaine à l'ONU. Il a occupé tout l'espace médiatique, et son plan de paix pour la Syrie est maintenant vu comme une option sérieuse à la résolution du conflit.

Le plan se présente en deux volets. Le premier consiste à transformer le régime syrien en allié de circonstance au sein d'une nouvelle coalition anti-groupe État islamique, celle des Occidentaux étant jugée inefficace et trop exclusive. Le deuxième volet ouvre la voie à une transition vers un régime représentatif négociée entre le président Assad et les rebelles « modérés ».

La proposition russe n'est pas sans arrière-pensées. La Russie - l'Union soviétique en son temps - est longtemps restée un acteur marginal au Proche-Orient (sauf en Syrie) depuis l'expulsion de ses conseillers militaires d'Égypte en 1972. Elle n'a jamais été perçue comme un partenaire économique et politique solide, et l'Iran révolutionnaire l'avait classée dans la catégorie des « Satans » au même titre que les États-Unis.

Les attentats du 11-Septembre, la calamiteuse invasion de l'Irak en 2003 et le Printemps arabe de 2011 ont changé la donne et permis à la Russie de revenir sur la scène proche-orientale en se posant comme la seule grande puissance garante de la stabilité des régimes en place. De l'Algérie à l'Iran, du Soudan à la Syrie, les interventions occidentales sont perçues comme erratiques, sinon carrément dangereuses.

Le chaos règne et, à tort ou à raison, les régimes en place l'imputent aux Occidentaux, d'où la brèche ouverte au profit de la Russie et, d'une certaine façon, de la Chine.

La Russie répond aux attentes. Elle est fortement engagée dans le financement du programme nucléaire iranien, vend, comme les Occidentaux, des armes aux régimes les plus répugnants et investit massivement dans les secteurs énergétiques. Elle vient de franchir un pas supplémentaire en déployant dans l'ouest de la Syrie navires de guerre, avions de combat et personnel militaire afin de soutenir le président Assad. La question est maintenant de savoir si elle peut répondre aux attentes. Et là, rien n'est moins certain.

Le bilan des interventions russes - et soviétiques autrefois - depuis 30 ans est une succession d'échecs et de demi-victoires. L'invasion de l'Afghanistan s'est transformée en véritable Viêtnam et a provoqué, selon certains, la chute de l'Union soviétique. En 1994, la première guerre de Tchétchénie - une province de Russie - a été un désastre pour l'armée russe et la deuxième, cinq ans plus tard, un véritable carnage pour les Tchétchènes.

En Géorgie, en 2008, l'armée russe a arraché la victoire en partie grâce à la désorganisation et à la passivité de l'armée géorgienne. Annexer la Crimée en 2014 fut un jeu d'enfants, l'armée ukrainienne étant inexistante. Et l'intervention dans l'est de l'Ukraine ne prouve aucunement la supériorité de l'armée russe en Europe, comme tente faussement de nous en convaincre l'OTAN.

Vladimir Poutine justifie l'engagement russe en Syrie au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste. Personne n'est plus conscient de ce danger que lui, car il est aussi présent sur le sol russe. La Russie est un pays musulman, disait le président il y a quelques jours en inaugurant à Moscou la plus grande mosquée du pays, et le Caucase russe demeure infesté par les djihadistes locaux dont plusieurs centaines ont rejoint l'EI.

Mais que veut faire Poutine de ses avions et de ses chars en Syrie ? Appuyer le régime Assad pour assurer une transition encadrée et frapper l'EI et d'autres groupes terroristes ? C'est jouable, et son aviation a commencé hier ses bombardements. Étendre son action militaire aux rebelles anti-Assad ? Attention, danger ! La Russie s'enfoncerait alors dans un bourbier, le monde arabe sunnite la rejetterait, et tout son engagement en Syrie aboutirait à une autre catastrophe.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion