Au moment où le premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, rencontre aujourd'hui à Washington le président Barack Obama, l'ancien secrétaire d'État Henry Kissinger dispense ses conseils sur la crise ukrainienne. À 90 ans, il n'a rien perdu de son acuité intellectuelle et présente sa vision du conflit ainsi qu'une proposition de solution.

Kissinger est soucieux des équilibres géopolitiques et respecte la puissance. Il prend le monde tel qu'il est et non tel qu'il devrait être, si cela a d'ailleurs un sens en relations internationales. Cette vision a le mérite de la clarté, même si elle est froide et cynique.

L'Ukraine n'est pas un petit pays perdu au milieu du Pacifique. Elle est au centre du Vieux Continent, exactement entre l'Europe et la Russie. Trop souvent, écrit Kissinger dans le Washington Post, la crise ukrainienne est présentée comme une confrontation où l'Ukraine doit choisir entre rejoindre l'Ouest ou l'Est.

Compte tenu de l'Histoire de cette région et de ses pesanteurs religieuses, politiques, économiques et culturelles, l'Ukraine «ne peut vivre ni comme un allié de la Russie, ni comme un allié de l'Occident, mais uniquement comme un pont entre les deux» Or, ni les Occidentaux ni les Russes ne prennent en considération ce fait géopolitique et leurs attitudes actuelles n'ont «fait qu'empirer la situation.»

Kissinger invite dès lors le président Poutine et les dirigeants occidentaux à baisser le ton et à chercher une solution politique. «Poutine devrait se rendre compte que, peu importe ses doléances, une politique qui passe par la voie militaire ne saurait que provoquer une nouvelle guerre froide», écrit-il.

«De leur côté, les États-Unis devraient éviter de traiter la Russie comme un régime aberrant auquel il faut enseigner des règles de conduite établies par Washington. [...] La diabolisation de Vladimir Poutine n'est pas une politique, c'est une excuse pour l'absence de politique.»

Quels seraient donc les contours d'une solution politique compatible avec les valeurs et les intérêts de toutes les parties? Kissinger avance quatre propositions sur lesquelles fonder une négociation pouvant déboucher sur une solution dont il reconnaît fort bien qu'elle sera nécessairement insatisfaisante pour les uns comme pour les autres:

- L'Ukraine doit pouvoir choisir librement ses associations politiques et économiques, incluant l'Union européenne.

- L'Ukraine ne doit pas adhérer à l'OTAN.

- L'Ukraine doit être libre de choisir un gouvernement exprimant la volonté de son peuple. Les nouveaux dirigeants ukrainiens devraient se donner une politique de réconciliation avec toutes les parties du pays. Sur la scène internationale, l'Ukraine devrait adopter une posture comparable à celle de la Finlande. Ce pays pro-occidental évite toute hostilité avec la Russie.

- Compte tenu du droit international, la Russie ne peut annexer la Crimée. Mais il doit être possible d'établir les relations de la Crimée avec l'Ukraine sur une base moins conflictuelle. Kiev doit lui reconnaître plus d'autonomie et garantir le maintien de la flotte russe à Sébastopol

À première vue, la plupart de ces propositions devraient pouvoir être mises en oeuvre sans trop de difficulté. L'Ukraine et la Russie recevraient des garanties politiques et militaires qui préserveraient leurs intérêts vitaux. L'Ukraine serait amarrée à l'Europe, adopterait un système politique à l'occidentale et conserverait son intégrité territoriale. La Russie stopperait l'avance de l'OTAN vers ses frontières et pourrait compter sur une Ukraine «neutre» devant l'Occident. Elle préserverait aussi son accès sur la mer Noire, élément indispensable de son statut de grande puissance.

Barack Obama et le premier ministre ukrainien parleront certainement d'un plan de règlement similaire à celui de Kissinger. Reste à espérer qu'il ne soit pas trop tard pour le transformer en une proposition concrète de négociation.

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