Les Européens viennent de lever l'embargo sur les armes à destination des rebelles syriens. Pour Paris et Londres, initiateurs de la mesure appuyée par Washington, celle-ci permettra d'équilibrer le rapport de forces sur le terrain entre rebelles et gouvernementaux et poussera à une solution négociée. L'exemple de la Bosnie en 1995 est cité pour justifier ce geste.

Certains conflits partagent plusieurs caractéristiques. L'an dernier, un ancien conseiller de l'ONU en Bosnie déclarait au journal Le Monde «que la Syrie est le dossier qui affiche le plus de similitudes avec la Bosnie: une guerre civile avec de fortes composantes ethnicoreligieuses, un environnement régional où des pays «voisins» agissent comme parrains des parties au conflit, et un troisième cercle, celui des grandes puissances, incapables de s'entendre». Jusqu'ici, la comparaison tient.

La guerre en Bosnie opposant trois communautés a commencé en 1992, et ce n'est qu'à l'été 1995 que les Occidentaux ont décidé d'intervenir en autorisant les avions de l'OTAN à frapper les positions serbes. Selon la légende, les massacres de Bosniaques par les Serbes, relayés par les médias - le fameux facteur CNN - devenaient intolérables et auraient provoqué l'intervention occidentale. C'est faux.

Le véritable facteur déterminant a été le succès des offensives croates et bosniaques contre les Serbes au printemps et à l'été de 1995, offensives rendues possibles par des livraisons d'armes. Les bombes de l'OTAN ont consolidé les acquis bosno-croates sur le terrain tout en forçant les Serbes à la négociation.

La livraison d'armes aux rebelles, le rééquilibrage du rapport de forces sur le terrain vont-ils alors ouvrir la voie à une négociation, comme le croit le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague? Non, car à ce stade, la comparaison avec la Bosnie ne tient plus. Il manque plusieurs éléments, dont une force militaire étrangère prête à frapper.

Mais ce n'est pas le plus important: en Bosnie, les Serbes pouvaient se permettre de négocier, car ils n'étaient pas au pied du mur. Les Occidentaux ne cherchaient pas leur défaite complète. Les Serbes avaient une position de repli: la partie serbe du territoire et, si tout allait vraiment mal, la Serbie.

En Syrie, la situation du régime est complètement différente. Les Occidentaux ont cru, en 2011, que Bachar al-Assad tomberait rapidement, comme Ben Ali et Moubarak. Or il a résisté, et les Occidentaux ont alors fait monter la pression. Ils ont autorisé les États arabes à financer et à armer les rebelles et exigé le départ du président comme préalable aux discussions de paix.

Alors, négocier quoi au juste? On n'offre au président et à ses alliés aucune position de repli: ni à l'intérieur du pays, à moins de favoriser son éclatement, ni à l'extérieur, sinon l'exil au Soudan ou à Moscou.

Face à ce défi existentiel, le chef syrien est cinglant: vous voulez ma destruction, celle de ma famille, de mon clan, de mes alliés? Eh bien! vous allez venir me chercher.

Les positions occidentales - stupidement exprimées sur le perron de l'Élysée ou à travers les médias - et celles de Moscou créent une situation où plus personne n'est disposé à reculer. On se retrouve alors face à un conflit qui s'envenime chaque jour: les Israéliens sont maintenant prêts à frapper les missiles que les Russes s'apprêtent à livrer à la Syrie. Les Russes vont-ils répliquer?

En Bosnie, le diplomate Richard Holbrooke avait imposé sa manière. Il avait demandé à tous de ne plus s'exprimer publiquement et avait réuni les protagonistes à Dayton pendant 21 jours. Un accord de paix avait été conclu. Peut-être pourrait-on se taire à Moscou, à Washington, à Paris et à Londres, et négocier sérieusement.

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