Il y a deux ans, le printemps arabe a révélé au monde la force et le dynamisme politiques des partis islamistes. Ils avaient été réprimés pendant des décennies sans pour autant disparaître, au contraire. Ils avaient été la seule force à travailler quotidiennement avec une partie de la population ignorée par les pouvoirs en place. Il n'était donc pas surprenant de les voir arriver au pouvoir de façon démocratique.

Aujourd'hui, ils dominent les gouvernements dans trois pays (Maroc, Tunisie et Égypte) et y sont associés en Libye. Ces jours-ci, à la notable exception du Maroc où le roi tient le gouvernement d'une main de fer, l'expérience des islamistes au pouvoir présente un spectacle inquiétant.

Au début, les islamistes ont affiché leur meilleur visage et tendu la main à certains secteurs, essentiellement laïcs, afin de ne pas effrayer une partie des électeurs. Dans l'enthousiasme des révolutions, plusieurs croyaient sincèrement qu'il était préférable de remplacer Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi par un parti islamiste. Certains disaient même que les islamistes d'aujourd'hui n'avaient plus rien à voir avec leurs partis fondés 40 ou 50 ans plus tôt, qu'ils avaient changé. On parlait même d'islamistes light. C'est effectivement le cas au Maroc, du moins pour l'instant, et c'est encore ce que l'on disait récemment à propos de ceux au pouvoir en Tunisie.

Il faut maintenant déchanter. L'assassinat le 6 février à Tunis d'un leader politique laïc et pourfendeur du pouvoir islamiste a plongé une partie du monde arabe dans la stupeur et a ouvert bien des yeux. L'assassinat de Chokri Belaïd a été bien planifié. Le politicien a d'abord fait l'objet d'une campagne de salissage. Puis, un imam a lancé un appel au meurtre. Enfin, des groupes salafistes ont constamment empêché la tenue de ses réunions politiques et il a échappé de peu à plusieurs lynchages. Dans un tel contexte, sa mise à mort était la dernière étape.

Ce crime vient de provoquer la démission du premier ministre, un islamiste «modéré», et la Tunisie se cherche maintenant un gouvernement. En Égypte, le président Morsi, issu du parti des Frères musulmans, affronte depuis quatre mois une opposition exaspérée par l'adoption d'une constitution trop islamiste à leur goût. Les jeux ne sont pas encore faits dans ce pays. Enfin, en Libye, le parti islamiste associé au pouvoir accuse le gouvernement d'être trop «libéral» et menace de quitter une coalition qui peine à stabiliser le pays.

Les islamistes sont dorénavant face à l'épreuve du pouvoir. Les incantations religieuses et leur passé de secouristes ne sont pas les outils dont ces sociétés ont besoin pour régler les immenses problèmes laissés en place par les anciens régimes. Les islamistes avaient beaucoup promis. Deux ans après leur élection, le bilan est mince et le regard des observateurs sévère.

Le directeur de l'hebdomadaire Jeune Afrique depuis une cinquantaine d'années, Béchir Ben Yahmed, lui-même Tunisien, écrivait il y a quelques jours que «l'observateur le plus indulgent est donc obligé de constater que les islamistes de Tunisie et d'Égypte ont, en quelques mois, dilapidé le préjugé favorable dont ils bénéficiaient au départ. Leur performance est calamiteuse et montre qu'ils ne sont ni capables ni dignes d'exercer le pouvoir dans un pays moyennement évolué.»

Le jugement est sans appel et le directeur de l'hebdomadaire demande à l'opposition de s'unifier afin d'isoler des islamistes qui, faut-il le rappeler, ont souvent accédé au pouvoir avec entre 20 et 40% des voix. Même si cet appel était entendu, il n'est pas certain qu'un changement de pouvoir stabiliserait des États toujours aux prises avec les soubresauts typiques des phases postrévolutionnaires.

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