Deux personnalités de réputation internationale viennent de s'exprimer sur la nécessité d'intervenir ou non en Syrie. Le philosophe français Bernard-Henri Lévy est favorable, alors que l'ancien secrétaire d'État américain Henry Kissinger est contre.

Lévy s'adresse directement au président François Hollande. Il utilise des arguments humanitaires et moraux pour plaider sa cause en faveur d'une intervention. Devant les combats et les tueries quotidiens dans plusieurs villes syriennes, devant les «images de ces 32 enfants au crâne fracassé, au visage en bouillie, dans la morgue» de Houla, le philosophe interpelle le chef d'État et lui demande si «la France fera, pour Houla et Homs, ce qu'elle a fait pour Benghazi et Misrata» en Libye l'an dernier. À cette époque, dans la foulée des bombardements menés par les forces de Kadhafi, la France de Sarkozy avait convaincu l'OTAN d'intervenir. Lévy réclame la même chose pour la Syrie.

Il y a des options sur la table pour protéger les civils syriens, écrit Lévy. «En serez-vous le capitaine, lance-t-il au président Hollande, ou bien vous laisserez-vous gagner par le défaitisme des Norpois qui, la veille de la chute de Tripoli, prédisaient encore un enlisement et qui vont partout ânonnant que la-Syrie-n'est-pas-la-Libye, qu'Assad-n'est-pas-Kadhafi?»

Henry Kissinger analyse la crise syrienne d'un autre angle. L'ancien chef de la diplomatie américaine plaide la stabilité de l'ordre international. Celui-ci est construit sur deux principes: la souveraineté étatique et l'absence d'ingérence extérieure dans les affaires internes. Or, la diplomatie créée depuis le printemps arabe, écrit Kissinger, remplace ces principes au profit d'une doctrine générale sur l'intervention humanitaire qui fait abstraction de l'intérêt national et de l'équilibre des forces, concepts rejetés pour leur absence de dimension morale. Ceci soulève des questions pour la stratégie américaine dans le monde. «L'Amérique se sent-elle l'obligation de soutenir tous les soulèvements populaires contre les gouvernements antidémocratiques, y compris ceux qui jusqu'à maintenant étaient considérés comme des piliers du système international?» Et même si Washington avait un intérêt stratégique à intervenir, «tout intérêt stratégique peut-il servir de raison suffisante pour aller en guerre?», écrit-il.

Kissinger ne rejette pas les arguments moraux en accord avec une intervention. Il y met un bémol. «En réagissant à une tragédie humaine, nous devons faire attention de ne pas en faciliter une autre», écrit-il.

Lévy et Kissinger expriment bien nos sentiments et nos hésitations par rapport au drame syrien. On ne peut rester indifférent aux souffrances et aux brutalités infligées par le gouvernement syrien et aussi, dans plusieurs cas, par les rebelles. En même temps, une intervention aurait-elle une chance de réussir ou provoquerait-elle un plus grand malheur?

Les textes du philosophe et de l'homme d'État sont intéressants par ce qu'ils ne disent pas et, du coup, révèlent le côté sombre de leur positionnement. La Libye s'est sans doute débarrassée d'un dictateur, mais ce sont bien d'anciens tueurs de Kadhafi, retournés de dernière minute, qui sont au pouvoir, dirigent les milices et tirent les ficelles.

De plus, l'intervention de l'OTAN a provoqué la fuite de milliers de mercenaires vers le Mali, le Niger, la Mauritanie et le Burkina Faso. Aujourd'hui, toute cette région pourrait devenir un nouvel Afghanistan et cela dans l'indifférence totale à Ottawa, Washington et Paris. M. Lévy n'en parle pas et on ne l'a pas aperçu dans le nord du Mali pour dénoncer cette catastrophe en devenir.

Quant à Henry Kissinger, si son texte est d'une facture plus solide et argumentée que celui du philosophe, il ne peut faire oublier son appui à l'invasion de l'Irak en 2003, guerre criminelle qui a causé la mort de plus de 200 000 Irakiens. Cette guerre était-elle plus justifiable que l'intervention réclamée par Lévy en Syrie?

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