Plus ça change, plus c'est pareil. En 1992, en Bosnie, commençait le martyre des peuples de ce pays, principalement celui des Bosniaques musulmans. Il allait se terminer trois ans plus tard. Aujourd'hui, c'est en Syrie qu'on tue sans qu'une solution soit en vue.

À 20 ans de distance, les termes et les moyens utilisés par les acteurs des conflits en Bosnie et en Syrie sont similaires.

Lorsque la guerre éclate dans les Balkans, le monde vit de profondes mutations géopolitiques et diplomatiques. L'effondrement du bloc communiste donne naissance à une vingtaine de nouveaux pays en Europe et marque le début d'une période de collaboration à l'ONU afin de régler un certain nombre de conflits passés ou présents. En matière de paix et de sécurité, on s'entend sur à peu près tout ou presque. L'Irak est buté hors du Koweït, et plus de 100 000 Casques bleus et travailleurs humanitaires sont dépêchés en Somalie, au Rwanda, au Mozambique, au Cambodge, au Liberia, en ex-Yougoslavie, pour accompagner des peuples vers la paix. Il y aura des succès, mais aussi des échecs. L'un d'entre eux est le cas bosniaque.

Le monde est impuissant devant un conflit que beaucoup estiment insoluble. Comment, en effet, faire justice aux revendications des communautés bosniaques, qu'elles soient musulmane, croate ou serbe? Comment stopper l'inacceptable - les bombardements aveugles diffusés en direct sur CNN, le nettoyage ethnique, les violations massives des droits de la personne? Comment départager les responsabilités de ces crimes? Comment éviter que le conflit ne se propage ailleurs? Incapables de s'entendre sur les solutions, les grandes puissances vont utiliser l'ONU. Quelque 20 000 Casques bleus sont déployés en Bosnie et pendant trois ans, ils vont assister aux pires excès. Ils ne peuvent réellement intervenir, car les grandes puissances leur ont lié les mains à travers une centaine de résolutions et de déclarations du Conseil de sécurité que plus personne ne se donne la peine de lire. La situation change en 1995 lorsque le rapport de force se modifie sur le terrain.

Vingt ans plus tard, en Syrie, les mêmes questions se posent, les mêmes gestes se répètent. Qui a commencé? Qui arme qui? Qui tue qui? Qui provoque les combats et les attentats? Quelles sont les responsabilités des uns et des autres? Quel est le jeu des puissances? Faut-il intervenir, quand, avec quels moyens et au profit de qui? Encore une fois, les grandes puissances ne s'entendent pas sur la ligne à suivre et ont décidé d'envoyer des observateurs de l'ONU. Malgré le travail remarquable de l'envoyé spécial Kofi Annan, les observateurs ne feront pas mieux qu'en Bosnie. Et ce n'est pas l'expulsion des diplomates syriens du Canada, de France, d'Allemagne et d'Australie qui changeront la donne sur le terrain.

Toutes ces questions ne sont-elles pas une manière de se défausser, de ne pas agir, alors qu'il y a pour certains urgence en Syrie? Après tout, il y a eu des interventions au Kosovo et en Libye? C'est vrai, mais l'urgence n'annule pas le devoir de réfléchir aux conséquences d'une intervention. Et c'est ce à quoi nous invite un brillant intellectuel et chercheur d'ici, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dans son livre La guerre au nom de l'humanité: Tuer ou laisser mourir. L'auteur balise la réflexion sur la notion d'intervention militaire au terme d'une lumineuse analyse des enjeux historiques, politiques, juridiques, éthiques et militaires. Il est alors en mesure d'écrire que, «dans certains cas, qui sont en réalité très rares, tout à fait exceptionnels, l'intervention militaire est justifiée pour des raisons humanitaires, et ce malgré ses défauts».

Alors, la situation en Syrie est-elle à ce point exceptionnelle pour justifier une intervention? En lisant l'ouvrage de Jeangène Vilmer, chacun se fera une idée et, selon son inclinaison, tranchera dans un sens ou dans l'autre.

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