Quand nous trouvons l'hiver difficile malgré toutes nos armes de protection massive, nous devrions, de temps en temps, remercier ces congénères qui, dans un lointain passé, ont déblayé le chemin sur lequel nous marchons et, parfois, trébuchons aujourd'hui.

Pour un nouvel arrivant, apprivoiser l'hiver du Québec est un long apprentissage. En décembre dernier, ma soeur est partie de notre Sénégal natal pour me rendre visite. Bien qu'elle ait connu l'hiver allemand à quelques occasions, je me suis dit que, pour sa première escapade hivernale en terre québécoise, j'allais lui faire découvrir la grande différence entre le froid allemand et le vrai gros frette du Québec.

Après l'avoir doublement emmitouflée, je l'ai emmenée dehors, pendant la grosse tempête du 29 décembre dernier, histoire de la plonger au coeur de ce pays de poudrerie, que chantait monsieur Vigneault. Après ce traitement-choc, je lui ai demandé si elle voulait immigrer au Canada. « Tu me prends pour une autruche ou quoi ? », qu'elle m'a dit avec le frimas sur ses longs cils noirs.

Trente minutes dans la tempête avaient suffi pour faire comprendre à ma soeur la différence entre se geler le derrière et péter au frette.

En passant, cette expression inventée par la francophonie canadienne pour traduire la mort est à mon avis géniale. Quand on entend d'autres francophones parler de mourir, de crever et de trépasser, on imagine mal l'état du corps du défunt. Beaucoup plus imagé, le « péter au frette » des gens d'ici permet de visualiser clairement la froideur qui accompagne la rigidité cadavérique.

Si le Québec n'est pas aussi peuplé que la Floride, c'est d'abord à cause de l'hiver et de ses tempêtes de neige, et ensuite à cause de l'été et de ses nuages de mouches noires, des maringouins et autres « frappe-à-bord » qui se taillent un steak à même votre cou. Ce sont deux barrières naturelles, dirait un biologiste. Cette alternance tempête-bibittes faisait dire sarcastiquement à un copain abitibien que son année était divisée en deux saisons : dix mois d'huile à chauffage et deux mois d'huile à mouche.

Le biologiste Jean-Pierre Bourassa, professeur émérite en entomologie à l'Université du Québec à Trois-Rivières et éminent spécialiste des insectes piqueurs, me racontait un jour que pendant la construction des barrages de la Baie-James, à force de se faire harceler par les nuages d'insectes, certains ouvriers démontraient des signes de forte anxiété qui les rapprochaient presque de la psychose. Autrement dit : l'hiver, on pète au frette, et l'été, on pète les plombs.

Le froid québécois est une réalité qu'on ne peut clairement expliquer à quelqu'un qui n'a jamais mis les pieds dans la gadoue. C'est aussi vain que de parler les babines bien gelées. J'ai donc une pensée pour tous les Syriens qui débarquent dans ce blanc pays pendant que battent les tempêtes de neige, que pétaradent les souffleuses et que grondent les grosses grattes grises. Je comprends très bien l'urgence d'agir dans ce projet, mais le choc thermique risque d'être foudroyant pour ces gens.

J'ai vu, par le passé, des étudiants venus des tropiques perdre totalement la carte parce qu'ils sont passés directement de la savane à la banquise. Je pense entre autres à mon ami guinéen incapable de rester debout sur la chaussée glacée de la rue Blais, à Rimouski, et qui avait décidé de descendre la pente à quatre pattes. Il maudissait le verglas en disant qu'il fallait avoir des griffes de léopard pour s'y agripper.

Ce spectacle, qui avait fait rire les automobilistes, est aussi la preuve que l'immigration est une seconde naissance. J'ajouterais même qu'il faut parfois des parents adoptifs pour accompagner nos premiers pas. Je lève donc mon casque de poil à toutes ces familles qui ont trouvé tuques, mitaines et manteaux chauds pour accommoder les premiers pas de ces réfugiés dans la froidure de leur nouveau pays.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion