Connu surtout à titre de musicien, producteur et leader du groupe hip-hop The Coup, Boots Riley livre, à 47 ans, son premier long métrage. Sorry to Bother You, qui porte le même titre qu'un album lancé il y a six ans, se situe dans la parfaite continuité d'une démarche à la fois artistique et militante. Conversation avec quelqu'un qui n'a pas peur du mot «radical».

Votre héros, joué par Lakeith Stanfield, obtient du succès dans le domaine du télémarketing le jour où il emprunte la voix d'un homme blanc au téléphone. Ce n'est d'ailleurs pas le seul élément surréaliste d'un film qui montre jusqu'où peut aller une entreprise au nom du profit. Pourquoi proposer ce film maintenant?

Parce que je ne rajeunis pas! Toute ma vie, j'ai voulu être créatif, élargir mes horizons. J'ai d'ailleurs commencé en étudiant dans une école de cinéma, mais j'ai décroché un contrat d'enregistrement au même moment. Donc, je suis parti. J'ai toujours aussi été très impliqué dans nos vidéoclips et j'ai également réalisé un court documentaire. À mes yeux, cela forme un gros tout. Les gens ont tendance à tout vouloir catégoriser, mais pour moi, il s'agit d'une seule et même démarche. Au bout du compte, il y a la même volonté de communiquer quelque chose.

Est-ce qu'un film peut avoir le même impact social qu'une chanson, d'après vous?

L'attachement que tu peux avoir pour une pièce musicale te renvoie peut-être à un moment de ta vie où tu as entendu cette chanson-là pour la première fois, et qui t'a marqué pour une raison ou pour une autre. Ça peut faire partie de la trame musicale de ta vie. Même si tu ne le regardes pas des centaines de fois, un film s'inscrit dans ta mémoire d'une façon différente parce tu es captif quand tu le regardes. Le réalisateur te kidnappe et il t'entraîne dans son univers pendant deux heures. Il a alors l'occasion d'inventer un monde qui, peut-être, changera ta perception de la vie.

Sur le plan politique, avez-vous l'impression que votre film a une pertinence particulière depuis que Donald Trump a été élu président?

Malheureusement, mon film est d'actualité depuis plus de 50 ans. Il le sera toujours, tant que nous serons dans un système capitaliste. J'attends d'ailleurs avec impatience le jour où mon film n'aura plus aucune pertinence. Dans une version écrite en 2014, un des personnages disait: «Worry Free [le nom que porte une entreprise dans le film] is making America great again.» Et ça, c'était au moment où Barack Obama était président. Nous vivons une époque de grands bouleversements sociaux et je crois que ce film fait partie de la discussion.

Vous avez toujours été militant, tant sur le plan social que dans votre art. Serez-vous impliqué directement dans les élections de mi-mandat du mois de novembre? Cela revêt-il une importance à vos yeux?

J'ai toujours été impliqué politiquement. Dès l'âge de 14 ans, je militais au sein d'organisations communautaires et j'affichais déjà des idées radicales. Je crois que le pouvoir principal des gens réside plutôt dans l'engagement quotidien. Il ne faut pas croire que le simple fait d'aller remplir un bulletin de vote est une fin en soi. Une élection n'est qu'une étape. Il y a ensuite autre chose à faire que d'élire des gens qui se mettront au service de la classe dirigeante. Mon énergie est surtout consacrée à faire voir aux gens où se situe leur vrai pouvoir. La véritable nature du capitalisme est l'exploitation. C'est à ça qu'il faut s'attaquer.

Est-ce qu'un point de vue radical de gauche peut se faire valoir aux États-Unis actuellement?

C'est difficile, mais je reste quand même optimiste. J'espère que ça se sent dans mon film. Plein de choses se passent partout dans le pays et je crois que les gens ont envie de nouvelles manières de faire. Pendant les 50 dernières années, on a mis la lutte des classes de côté, mais tout cela est en train de nous rattraper. Peu importe ce qui se passe, la lutte continue et on peut l'amener à un autre niveau.

Vous pensez déjà à un prochain film?

J'ai une réserve de 20 ans d'idées! Quand on a lancé Sorry to Bother You au festival de Sundance, les gens ont apprécié le caractère différent du film, tant sur plan narratif qu'esthétique. Mon but n'était pas de suivre les règles pour ensuite décrocher un job en tant que réalisateur, ni de passer une audition pour éventuellement réaliser un film Marvel. Mon but était de faire un film. Mon film.

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Sorry to Bother You prendra l'affiche en version anglaise le 13 juillet.