Pour Denis Ménochet, il y aura assurément un «avant» et un «après» Jusqu'à la garde. Présent dans le cinéma français et international depuis une quinzaine d'années, l'acteur a enfin trouvé le rôle qu'il attendait, «la partition» comme il aime dire, dans un film puissant, signé Xavier Legrand.

Il fait partie de ces acteurs qui laissent toujours une forte impression mais dont on a parfois du mal à retenir le nom. Denis Ménochet est ce comédien qui, dans Inglourious Basterds, faisait face au diabolique colonel nazi Hans Landa, interprété par Christoph Waltz, alors encore peu connu. Cette scène, écrite et filmée par Quentin Tarantino, appartient maintenant à l'histoire du cinéma. Depuis, l'acteur a eu l'occasion de se faire valoir à quelques reprises, notamment dans Dans la maison (François Ozon), Grand Central (Rebecca Zlotowski), ainsi que dans la série télé Spotless, où il prêtait ses traits au frère de Marc-André Grondin.

Un rôle marquant

Dans Jusqu'à la garde, le premier long métrage de Xavier Legrand, un acteur qui s'est essentiellement fait valoir au théâtre jusqu'à maintenant, Denis Ménochet se glisse dans la peau d'un personnage imposant. Face à Léa Drucker, il incarne un homme menant une bataille juridique pour obtenir la garde partagée du jeune garçon du couple. Or, des accusations de violence conjugale sont portées contre lui par son ancienne conjointe. Au milieu de cette dispute, l'enfant ne sait plus trop comment agir devant ce colosse qui a du mal à gérer ses colères, mais qui peut aussi se montrer affectueux. L'effet est d'autant plus saisissant - et terrifiant - que Xavier Legrand maintient une tension constante, sans jamais recourir à des effets dramatiques inutiles.

«Dans mes fantasmes les plus fous, j'osais à peine rêver d'un rôle comme celui-là, confie Denis Ménochet au cours d'un entretien accordé à La Presse. Je n'en reviens toujours pas. Je me suis senti comme un musicien à qui on demandait de jouer toutes les notes d'un instrument.» 

«Si ma carrière s'arrête demain, je pourrai me retourner et dire: voilà, j'ai fait ça.»

«Quand Xavier m'a fait parvenir le scénario, poursuit-il, j'étais occupé par d'autres projets, mais j'ai ouvert ma tablette et je n'ai pas pu m'arrêter de lire. Je me suis alors souvenu de la fois où Emmanuelle Devos m'a raconté ce qu'elle avait ressenti quand elle avait reçu le scénario de Sur mes lèvres. Là, j'ai compris ce qu'elle m'avait dit. J'ai appelé Xavier pour lui dire à quel point c'était dément, et j'ai relu le scénario une deuxième fois tout de suite après avoir raccroché. Je m'en souviendrai toute ma vie. Enfin, la partition!»

Un saut à l'élastique

Le rôle d'Antoine constitue évidemment un beau défi, mais il force aussi l'acteur à aller jouer dans les zones d'ombre d'un personnage imprévisible et inquiétant, dont les émotions sont toujours exacerbées.

«C'est comme un saut à l'élastique, explique celui qui a vécu une partie de son enfance au Texas et à Dubaï, grâce à un père ingénieur dans le domaine de l'extraction pétrolière. Ça fait peur, mais le plaisir s'installe quand ça recommence à rebondir ! J'avoue que de passer d'une émotion à l'autre très vite, comme le fait Antoine, c'est quand même difficile. Tu dois lâcher ton animalité complètement. Je ne me suis jamais servi de choses personnelles pour nourrir un personnage, mais là, je dois dire que pour la scène où je dois pleurer comme un enfant, j'ai eu recours à la mémoire émotionnelle en utilisant une chanson qui me rappelait un certain truc afin que les larmes ressemblent à celles d'un petit garçon. C'est la seule fois où j'ai dû forcer un peu.»

À film tendu, tournage de rêve?

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'atmosphère sur le plateau était légère et joyeuse. Jusqu'à la garde a été tourné pendant l'été, en Bourgogne, avec une équipe réduite. Surtout, Thomas Gioria, l'interprète de l'enfant, était bien encadré et vraiment animé du désir de jouer le rôle.

«Pour commencer, on se lançait un ballon de football, Thomas et moi, en disant nos répliques, rappelle Denis Ménochet. J'augmentais l'intensité parfois, et il adorait ça. De cette façon, on a pu briser la glace assez rapidement en établissant clairement les balises et en s'assurant que tout cela constituait un jeu. Au bout de deux jours, on a abandonné le ballon.»

L'acteur souhaite qu'un film comme Jusqu'à la garde puisse susciter une vraie discussion. Il estime que la prise de parole récente des victimes de violence peut avoir un impact réel sur les mentalités.

«J'espère que les pères pourront éduquer leurs fils en ayant conscience de tout ça, sans avoir peur, sans se sentir castrés de quelque façon que ce soit non plus, et que cette prise de conscience mène à une société différente.»

Xavier Legrand: Tragédie contemporaineTout vient d'Avant que de tout perdre. Dans ce court métrage, finaliste aux Oscars en 2014, Xavier Legrand a déjà installé les personnages de Jusqu'à la garde, incarnés par les mêmes acteurs, à l'exception de l'enfant. Il a voulu explorer ce récit sous la forme d'un long métrage, et l'on ne peut que l'en féliciter. En plus de remporter le prix de la mise en scène à la Mostra de Venise l'an dernier, Xavier Legrand a vu apparaître son nom sur la liste des 10 cinéastes à suivre en 2018, tel qu'établie par le journal spécialisé Variety.

«Il existe beaucoup d'incompréhension à propos de la violence conjugale, précise le cinéaste. Un mauvais conjoint ne fait pas nécessairement un mauvais parent. Il m'a semblé intéressant de construire le récit selon ce point de vue.»

Xavier Legrand estime qu'une réelle prise de conscience est née grâce au mouvement #metoo. «Il faut que les hommes prennent la parole aussi, dit-il. Ils n'en seront pas moins virils pour autant! À chaque projection à laquelle j'ai assisté, on vient me voir pour me raconter ce genre de drame. D'autres disent encore qu'elle l'a "quand même poussé à bout". C'est dire à quel point les mentalités sont encore bien ancrées dans l'esprit de certaines personnes et qu'il faut du temps pour les changer. Mais j'ai bon espoir!»

________________________________________________________________

Jusqu'à la garde prendra l'affiche le 27 avril.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

Photo fournie par AZ Films

Le réalisateur Xavier Legrand