À titre de cinéaste et d'acteur, James Franco devra peut-être l'un des hauts faits de sa carrière à Tommy Wiseau, dont le film The Room est considéré comme l'un des pires de l'histoire du cinéma. L'ironie de la chose ne lui échappe pas, mais il estime que le personnage est d'une incroyable richesse.

Au bout du fil, James Franco aurait pu livrer le genre de réponses préfabriquées sur lesquelles les artisans s'appuient parfois quand la 3000e entrevue arrive au compteur. Pourtant, non. Une conversation avec lui est souvent ponctuée de silences, un peu comme s'il entrait dans une phase d'introspection avant de livrer son commentaire.

James Franco est un «cas» dans le milieu du cinéma. Il détient un statut de superstar, mais il n'hésite pas à prendre à bras-le-corps des projets plus marginaux, autant à titre d'acteur que de cinéaste.

Son intérêt envers l'histoire de The Room, un film tellement mauvais qu'il en est devenu culte, s'inscrit dans sa démarche de façon logique. Depuis son lancement en work in progress au festival South by Southwest l'an dernier, la réputation de The Disaster Artist n'a cessé de grandir. Cette adaptation du récit qu'a publié Greg Sestero il y a quatre ans - un bouquin dans lequel l'acteur relate son expérience avec Tommy Wiseau, grand manitou de The Room - vaut aujourd'hui à James Franco les plus belles accolades de sa carrière.

«En lisant le livre de Greg Sestero, je n'ai pu faire autrement que d'avoir envie d'en faire un film, explique-t-il au cours d'un entretien accordé à La Presse. Même si l'histoire est incroyablement bizarre, j'ai pu m'y identifier, et même m'en émouvoir. Sous toutes les couches, plus absurdes les unes que les autres, on trouve l'histoire d'un homme qui s'accroche à ses rêves, stimulé en plus par une relation amoureuse. Et ça, c'est universel.»

«Quand, en tant qu'acteur et cinéaste, on peut s'appuyer sur une trame comme celle-là, on sait qu'on peut en tirer un film auquel le public adhérera.»

Qu'est-ce que le talent?

The Disaster Artist nous entraîne au tournant des années 2000, alors qu'un type étrange, Tommy Wiseau, parvient à rassembler assez de ressources - et d'argent - pour enfin se lancer dans la production de The Room. Ce parfait inconnu a l'ambition de faire de ce film une grande tragédie, et compte même se rendre jusqu'aux Oscars. 

Wiseau produit le film (avec un budget de 6 millions de dollars!), en signe le scénario, le réalise et se donne le rôle principal auprès de Greg Sestero, un apprenti acteur qu'il a pris sous son aile (Dave Franco dans le film). Or, ce pauvre Wiseau n'a aucun talent. Au point où le public croule de rire lors de la grande première. Le statut culte de The Room - aujourd'hui l'un des films phares des séances de minuit en Amérique - est d'ailleurs dû à ce décalage psychotronique.

«Mais qu'est-ce que le talent, au fait? demande James Franco. Peu importe le statut qu'on nous attribue, nous sommes toujours ravagés par le doute. Je suis arrivé à Los Angeles à peu près au même moment que Tommy Wiseau. Comme lui, j'ai tout fait pour avoir droit à ma première chance, en travaillant très fort. Quand ce moment arrive enfin - ce fut mon cas -, tu as la chance de rencontrer des gens intéressants et de travailler avec eux. Si tu restes ouvert d'esprit, tu commences à progresser, à apprendre vraiment ton métier, à te bâtir une confiance. Pour moi, la série Freaks and Geeks fut le premier tournant. J'y ai rencontré Seth Rogen et Judd Apatow. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à croire en moi.»

Très prolifique, aussi bien en tant qu'acteur qu'à titre de réalisateur, James Franco estime s'être bâti une confiance assez solide - il aura 40 ans le printemps prochain - pour se permettre maintenant de ralentir un peu.

«À mon sens, le seul moyen de m'améliorer était de mettre mon métier en pratique, comme un athlète qui s'entraîne beaucoup. C'est la même chose du côté de l'écriture. L'an dernier, j'ai cependant réalisé que je travaillais comme un fou et que je n'avais peut-être plus besoin d'être aussi boulimique. Je compte maintenant me concentrer sur des choses qui me tiennent vraiment à coeur.»

Le rôle de sa vie?

Plusieurs médias américains estiment que James Franco offre l'une des meilleures performances de sa carrière dans The Disaster Artist. Certains y voient même le rôle de sa vie. Qu'en pense le principal intéressé?

«Oui, je suis d'accord. J'ai eu des rôles dramatiques et j'ai aussi été souvent associé à la comédie. Or, ce personnage relie ces deux pôles, comme s'il me permettait de combiner l'acteur dramatique et l'acteur comique. C'est bizarre, mais ce personnage contient la somme de tous mes talents!»

Même si Greg Sestero a davantage été impliqué dans son film, James Franco a néanmoins eu l'occasion d'en savoir un peu plus sur Tommy Wiseau, un personnage qui, encore à ce jour, reste très mystérieux.

«Le fait qu'il revendique encore ses demi-vérités est fascinant à mes yeux. Personne ne le croit, tellement sa façade est mince, mais il s'accroche quand même à la vie qu'il s'est sans doute inventée. J'aurais aimé savoir ce qui l'a vraiment motivé à faire son film, mais je ne suis jamais parvenu à obtenir une réponse claire de sa part. Il fait maintenant du révisionnisme historique!

«Par exemple, Tommy affirme avoir eu l'intention de faire une comédie dès le départ, quand tout le monde sait très bien que son ambition était de réaliser un grand film dramatique, poursuit James Franco. J'ai toutefois eu accès à un enregistrement dans lequel il se parle à lui-même, et où on l'entend réfléchir sur sa vie, sur le fait que personne ne le croit; il s'exprime aussi à propos de sa profonde solitude. En tant qu'acteur, c'était très utile parce que j'avais l'impression d'avoir accès à son journal intime. Ce fut pour moi l'un des éléments clés pour construire le personnage.»

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The Disaster Artist prendra l'affiche le 8 décembre.