L'héroïne de DC Entertainment Wonder Woman est-elle un symbole du féminisme? À l'occasion de la sortie en salle de Justice League, la question refait surface et les avis divergent.

Dès la sortie du long métrage Wonder Woman, en juin dernier, la question a retenti dans les critiques, chacun y apportant sa réponse, une onde de scepticisme planant quant aux valeurs féministes prétendument incarnées par l'héroïne.

Réalisé par Patty Jenkins, première femme à porter une superhéroïne au grand écran, Wonder Woman met en scène une déesse forte physiquement, mentalement et moralement. Une déesse, cependant, au costume qui dévoile beaucoup de sa plastique parfaite et qui, lorsqu'elle pénètre dans le monde des humains, voit ses faits et gestes dirigés par un homme.

Un retour à la genèse du personnage, en 1941, révèle que le créateur de la superhéroïne, William Moulton Marston, s'est inspiré du mouvement féministe pour imaginer Wonder Woman, souhaitant créer une figure capable d'inspirer les fillettes. «Wonder Woman est un modèle de féminité fort, libre et courageux, pour lutter contre l'idée que les femmes sont inférieures aux hommes et pour inspirer aux jeunes filles la confiance en elles», disait le communiqué de presse d'All Star Comics, à l'époque de sa création.

«Il voulait redonner leur place aux femmes, en leur disant qu'elles sont capables de faire tout ce que les hommes peuvent faire», explique Marc Parenteau, propriétaire de la boutique spécialisée en BD Comic Hunter. Il croit que Wonder Woman est indéniablement féministe, mais que la manipulation du personnage, entre les mains de différents auteurs de bande dessinée ou réalisateurs, a parfois altéré son message.

Bien qu'elle fasse preuve d'une force qu'on n'accorde pas souvent aux femmes, Wonder Woman n'est pas associée au féminisme par tous pour autant. «Elle représente la féminité, dans la Ligue des justiciers, c'est elle qui a de la compassion et de belles valeurs, raconte Caroline Fréchette, vlogueuse passionnée de bande dessinée, fondatrice de la chaîne YouTube Geeky. Encore un cliché comme quoi les femmes sont sensibles et maternelles...»

La fibre féministe de Wonder Woman

Y a-t-il un féminisme ancré dans le personnage de Wonder Woman au-delà du fait qu'elle soit une superhéroïne de sexe féminin qui est la vedette d'un film qui porte son nom? Amy Teixeira, fervente amatrice de bande dessinée, croit fermement que oui. «Elle vient d'une île entièrement peuplée de femmes, elle n'a jamais eu de doute sur ses habiletés à cause de son sexe, décrit celle qui s'affirme féministe. Le fait qu'une femme puisse être "inférieure" n'est même pas concevable pour elle.»

Enfant de Zeus, façonnée à même l'argile, Wonder Woman n'est techniquement même pas une femme. Une déesse amazone, par définition sans défauts, symbole du féminisme? «Les superhéros en général sont souvent montrés comme étant parfaits, hommes comme femmes, c'est un idéal qui a toujours été poussé par les comics», soulève Anaïs Fraile-Boudreault, vendeuse chez Comic Hunter et passionnée de BD. Un tatouage du logo de Wonder Woman ornant son poignet, la jeune femme, qui collectionne une des séries de la superhéroïne, admet qu'il y a «de la place pour de l'amélioration» quant à l'hypersexualisation et la diversification des corps féminins.

«J'ai vu des comics où Wonder Woman portait des pantalons et c'était bien plus légitime qu'un petit bodysuit», poursuit-elle, tout en ajoutant que l'habillement de la guerrière, aux allures des combattants grecs, correspond au souci de réalité. Les Amazones, le peuple de la princesse Diana (qui deviendra plus tard Wonder Woman), sont des guerrières vivant sans hommes. D'après Amy Teixeira, l'argument du costume trop affriolant est «ridicule».

«C'est de dire que parce qu'elle a des seins, ce n'est pas féministe. Ce n'est pas parce qu'elle porte moins de textile que ce n'est pas une icône.»

Une autre critique entendue contre le film Wonder Woman concerne son manque d'autodétermination à son entrée dans le monde des hommes, alors en pleine Première Guerre mondiale. «Steve Trevor [le soldat avec qui elle s'allie] lui dit très souvent quoi faire et où aller au début, reconnaît Amy. Mais à un moment, elle en a assez, elle décide ce qu'elle veut faire et elle le fait. Elle agit parce qu'elle ne doute plus, pas parce qu'un homme lui dit quoi faire.»

Marc Parenteau croit d'ailleurs que la fibre féministe de Wonder Woman transparaît «partout, tout le temps», lorsque le personnage initial est bien amené, comme ç'a été le cas dans plusieurs séries et dans les récentes adaptations au cinéma. Les caractéristiques propres au personnage, qui est porté par «l'amour, la paix, l'espoir et le travail», sont bien représentées dans les récents films, d'après lui.

Marvel, DC et les femmes

On pourrait supposer que les superhéroïnes sont super-invisibles dans le monde de la bande dessinée. La peur de brusquer le public majoritairement masculin avec de forts personnages féminins semble retenir les grands éditeurs, DC et Marvel, de proposer plus de protagonistes féminins au coeur de leurs BD et à l'écran. Mais «[en dehors] des grosses compagnies, il y en a beaucoup plus», certifie Anaïs Fraile-Boudreault. Les géants de l'industrie, eux, restent frileux, car «ce sont principalement des hommes qui les dirigent».

«Au départ, on sent que les personnages féminins avaient été créés pour que personne ne chiale», croit Caroline Fréchette. D'après elle, la présence de l'héroïne dans Justice League ne sert qu'à montrer une image de diversité qui n'est toutefois pas suffisante, puisqu'«il y a eu environ six Spider-Man adaptés au cinéma pour une Wonder Woman».

La diversité s'installe, du moins du côté des bandes dessinées, mais n'a toutefois que fissuré le plafond de verre du monde du cinéma. «Les modèles de héros féminins sont très rares, mais je pense qu'on commence à "normaliser" leur place, affirme Caroline Fréchette. Tranquillement, les rôles de héros féminins se glissent aux côtés des distributions d'hommes.»

Malgré les multiples bémols, Wonder Woman, une des seules héroïnes à récemment avoir vu son histoire constituer l'intrigue principale d'une superproduction, semble somme toute considérée un peu plus comme un personnage féministe que son contraire.

Photo fournie par Warner

Gal Gadot (Wonder Woman) dans Justice League (2017)