Ça fait 20 ans que Xavier Dolan travaille dans le milieu du doublage au Québec. Et à une certaine époque, il pouvait plancher sur huit projets en une seule semaine. Même si son horaire comme réalisateur ne lui permet plus d'en faire autant, il tient mordicus à poursuivre sa carrière dans ce domaine. La preuve ? Il prête sa voix à trois films qui prennent l'affiche dans les prochains jours, soit Émoji le film, Dunkerque et Valérian et la Cité des mille planètes. Entrevue avec l'acteur et réalisateur.

Comment choisissez-vous vos projets ? Par exemple, si nous prenons le film d'animation Émoji, pourquoi aviez-vous envie de le faire ?

Il s'est présenté comme une opportunité... Je ne veux pas vous dire « une opportunité parmi tant d'autres », parce que c'est un beau projet qui se démarque, mais vous savez, je fais du doublage depuis que j'ai 8 ans, ce n'est donc pas comme si je m'étais égaré dans un univers que je ne connaissais pas du tout et où j'essaie quelque chose de nouveau. D'abord et avant tout, j'ai accepté de le faire parce que j'aime ce métier-là.

Pardonnez mon ignorance, mais pour mieux comprendre...

Je vous en prie, ne craignez rien...

Comment choisissez-vous les films dans le milieu du doublage ? Voyez-vous le film avant ou vous ne recevez qu'un synopsis ?

Les studios américains qui produisent des films, que ce soit des live action [en prises de vue réelle] ou des films d'animation, engagent des studios de doublage à Montréal qui leur proposent leurs services pour organiser, fabriquer et produire une version française de leur film. Généralement, c'est comme ça que ça fonctionne. Nous sommes ensuite appelés par des coordonnateurs de ces studios-là qui nous demandent nos disponibilités et nous convoquent à faire tel ou tel film. Dans le cas d'Émoji, le rôle étant important, nous avons eu la possibilité de voir le film avant. Je l'ai vu à Montréal, grâce à une copie protégée et dans un environnement sécuritaire.

Parfois, ça se passe autrement. Par exemple, j'ai doublé dans Dunkirk de Christopher Nolan qui était un film extrêmement protégé, personne à Montréal ne l'avait vu. Le directeur de plateau et la chargée de projet sont allés le voir à Los Angeles pour voir de quoi il retournait, mais autrement - pour les autres -, nous avions accès à un écran noir à l'exception d'un rond autour de la bouche du personnage qui parle. C'est une façon de protéger le film du piratage. Ce sont des mesures un peu excessives, mais je vous donne un exemple pour que vous compreniez que ce n'est pas toujours le même contexte.

Wow ! Je n'aurais jamais pensé que vous pouviez doubler dans ces conditions ! Ça ne doit pas être facile de jouer un personnage dans ce contexte.

C'est sûr que c'est difficile d'avancer dans le noir comme ça, à tâtons. Pour offrir son plein potentiel, surtout pour un film d'animation comme Émoji, c'est mieux de voir le film.

Dans Émoji, vous jouez Gene Bof, un personnage qui a de la difficulté à bien faire son job, c'est-à-dire n'avoir qu'une seule émotion. C'est bien ça ?

C'est un univers qui est intéressant, parce qu'on tient pour acquis là-dedans que les émojis sont ces icônes que nous utilisons chaque jour pour ponctuer un message texte ou une émotion. Et eux, ils vivent dans une ville où ils sont confinés à vivre la même émotion et faire la même chose. Donc l'hélicoptère est un hélicoptère. Le tas de merde est un tas de merde. Celui qui pleure de rire est toujours en train de pleurer de rire, etc.

Et celui qui est blasé est toujours blasé de tout, alors qu'il sent qu'il a en lui toutes sortes d'émotions comme l'émotivité, la tristesse, la nostalgie, le rire et le plaisir. En plus d'avoir de la difficulté à exprimer les émotions qu'il ressent, on lui interdit de les ressentir. On décide finalement que parce qu'il est différent, il est anormal. Je pense que c'est une métaphore qui est assez claire [rire]. En fait, c'est toujours ça dans les films pour enfants, et même dans les autres films, on parle toujours de la même chose, mais on n'explique jamais clairement cette « chose-là ».

Allons-y pour une question extrêmement intellectuelle : si vous étiez un émoji, vous seriez lequel ?

Ce serait impossible pour moi de n'être qu'une seule émotion... Par contre, je pourrais n'être qu'une seule figure. Ce serait soit l'aubergine ou l'arbre de Noël.

Vous doublez également Dane DeHaan dans Valérian et la Cité des mille planètes de Luc Besson. Avez-vous aimé le film ?

C'est très divertissant : un film de science-fiction qui ne se prend pas au sérieux. C'est très créatif comme film. Quelques critiques ont commencé à sortir aux États-Unis et elles sont assez tièdes. Personnellement, je ne suis pas d'accord. J'ai eu beaucoup de plaisir à le doubler, mais également à le regarder. C'est à voir !

Mais où trouvez-vous le temps de doubler ? Vous semblez avoir un horaire tellement chargé à réaliser vos propres films.

C'est une passion, le doublage. C'est quelque chose que je connais et que j'aime faire. J'ai moins de temps qu'avant, mais je me garde normalement deux jours par semaine pour en faire. Lorsque Jessica Chastain est arrivée pour tourner, elle avait deux jours off dans son horaire, parce que je faisais du doublage. J'en ai besoin pour ma santé mentale... J'exagère en disant ça, mais vous comprenez ce que je veux dire. Je m'organise toujours pour pouvoir faire du doublage.

En parlant de Jessica Chastain, comment avance votre prochain film, The Death and Life of John F. Donovan ? Êtes-vous satisfait pour le moment ?

Oui, très satisfait. Nous sommes encore en train de travailler fort là-dessus, à la vitesse grand V. Nous sommes en postproduction et le film devrait être prêt cet automne.

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The Emoji Movie prend l'affiche vendredi prochain. Dunkirk et Valerian and the City of a Thousand Planets sortent en salle aujourd'hui.

image fournie par CTMG

Gene Bof, le personnage joué par Xavier Dolan, est un émoji qui ressent toute une gamme d'émotions malgré son rôle d'éternel blasé.