Reconnu pour créer des univers complètement originaux au grand écran, Christopher Nolan s'attaque cette fois au «miracle de Dunkerque», un chapitre significatif de la Seconde Guerre mondiale, particulièrement cher au coeur des Britanniques. En se donnant les moyens de ses ambitions, le réalisateur d'Inception et d'Interstellar a voulu placer le spectateur au centre de l'action, en lui proposant une expérience cinématographique immersive.

Une semaine, un jour, une heure

Les Britanniques de toutes générations ayant participé au film de Christopher Nolan en conviennent. Dans leur imaginaire collectif, la bataille de Dunkerque, au cours de laquelle 338 000 soldats britanniques et français ayant battu en retraite furent sauvés et évacués par voie maritime jusqu'en Grande-Bretagne en juin 1940, reste encore très présente.

«À l'école, on nous enseigne une version qui relève presque du conte de fées, a déclaré le cinéaste, dimanche dernier, au cours d'une rencontre de presse tenue dans un hangar de l'aéroport de Santa Monica. Mais le fait est que cet épisode de notre histoire reste très marquant. Au-delà de ce qu'on a appelé le "miracle" de Dunkerque, il y a ce mouvement de solidarité qui a permis de secourir des milliers de soldats en détresse. Cette accumulation d'efforts individuels constitue une force collective incroyable.»

Le cinéaste, reconnu pour créer des univers complètement originaux au grand écran, a longtemps cogité l'idée de faire écho à cet épisode de l'histoire. Dunkirk constitue sa toute première incursion dans un monde «réel».

«Il y a une vingtaine d'années, j'ai moi-même navigué sur la Manche entre l'Angleterre et Dunkerque, précise-t-il. La traversée fut très agitée. Je l'ai trouvée difficile. J'ose à peine imaginer l'enfer qu'ont vécu les soldats alors qu'en plus, des bombes tombaient autour d'eux.»

«Je n'ai jamais compris pourquoi cet épisode avait été si peu souvent traité au cinéma.»

Pour placer le spectateur au centre de l'action, le réalisateur d'Inception, d'Interstellar et de la trilogie The Dark Knight n'a pas hésité à mettre sa grande expertise au service de l'histoire. Grâce à une savante combinaison technique, environ 75 % des images IMAX ont été incorporées au film, intégralement tourné sur pellicule 65 mm.

«J'utilise le format IMAX depuis une dizaine d'années, mais pour Dunkirk, j'estimais qu'il fallait vraiment aller encore plus loin, précise Christopher Nolan. J'ai voulu que le spectateur vive une expérience immersive afin qu'il ait l'impression d'être à côté des soldats sur la plage, dans les bateaux qui ont évacué les soldats, et dans les cockpits des avions Spitfire de la Royal Air Force. D'où l'idée de construire le récit sur trois niveaux de temps et d'espace.»

Sur la plage: une semaine

Le 27 mai 1940, les soldats britanniques, français, belges et canadiens se sont retrouvés complètement encerclés par les troupes de la Wehrmacht à Dunkerque. Pris au piège, les Alliés n'ont pu trouver que la plage comme unique lieu de refuge. Pendant une semaine, des milliers de militaires se sont entassés là sans savoir ce que le destin leur réservait, attendant patiemment qu'une opération de sauvetage, peut-être, s'organise entre les attaques.

L'opération Dynamo, mise sur pied par les autorités britanniques, a commencé le 26 mai 1940. L'objectif était d'évacuer environ 45 000 hommes. L'historien Joshua Levine, embauché à titre de consultant, estime que n'eût été cet événement, les nazis auraient sans doute continué leur conquête jusqu'en Grande-Bretagne. Le cours de l'histoire en aurait sans doute été changé.

Christopher Nolan a construit son récit autour de l'un de ces jeunes soldats, Tommy (Fionn Whitehead). 

«Comme tous ses camarades, Tommy est tenu dans l'ignorance et ne sait rien de la stratégie que comptent emprunter ses supérieurs. Ces soldats étaient de jeunes garçons. Ce qu'ils ont vécu est incroyable.»

La production a pu s'installer à l'endroit même où les événements sont réellement survenus. Sur le plan logistique, il a fallu reconstruire le môle où pouvaient accoster les bateaux. Il a aussi fallu passer la plage au peigne fin, histoire de s'assurer qu'aucune vieille mine oubliée ne resurgisse inopinément du passé.

En mer: un jour

Quand elles se sont rendu compte que les navires de la marine britannique étaient en nombre nettement insuffisant pour mener à bien l'évacuation de tous les soldats, les autorités ont mis des civils à contribution. Ainsi, tous les types d'embarcations furent réquisitionnés afin de participer au sauvetage. Chalutiers, ferries, remorqueurs, péniches, yachts - plus de 300 «little ships» - ont pu s'approcher de la plage de Dunkerque, assez près pour récupérer les hommes et les mener vers les gros contre-torpilleurs de la marine. Dans le film, cette opération est évoquée sur le cours d'une journée. Le spectateur est invité à monter à bord du Moonstone, un yacht piloté par Mr. Dawson (Mark Rylance), secondé par son fils Peter (Tom Glynn-Carney).

Quelques scènes maritimes ont été tournées sur la Manche, mais la plupart d'entre elles furent orchestrées sur le lac IJsselmeer, aux Pays-Bas. Cette solution a été adoptée à la suggestion du directeur photo Hoyte van Hoytema, car le flux des marées rendait la gestion du tournage extrêmement difficile. Il fallait aussi tenir compte de la place qu'occuperait la caméra, plus grosse à cause du format IMAX.

Pas moins de 62 embarcations se sont retrouvées le même jour sur la Manche en vue de leur journée de tournage. Certains de ces bateaux, prêtés par l'Association of Dunkirk Little Ships, avaient déjà vécu la vraie bataille.

«Ces gens ne savaient pas du tout à quoi s'attendre, mais ils se sont néanmoins portés volontaires, indique Christopher Nolan. Pour créer l'illusion, il ne fallait pas donner au spectateur plus d'infos que ces hommes en avaient eux-mêmes. L'un de mes plans favoris est celui où Mr. Dawson et son fils ne font qu'échanger un regard. Au tournage, je n'avais pas remarqué à quel point ce regard était lourd de sens. C'est le genre de cadeau que nous font les acteurs et qu'on découvre seulement à la table de montage.»

La voie des airs: une heure

Pour protéger les évacués des feux des bombardiers allemands, des avions Spitfire de la Royal Air Force ont été déployés. Pour recréer l'effet sans recourir à des images de synthèse ni à trop d'effets visuels, de véritables appareils d'époque ont été utilisés pendant le tournage. Tom Hardy, qui interprète l'un des pilotes britanniques, se retrouve une fois de plus à devoir jouer son rôle le visage pratiquement couvert, même si, cette fois, l'approche est quand même très différente de celle de The Dark Knight Rises.

«L'utilisation de ces avions a fait en sorte que nous avons dû placer une caméra IMAX là où elle n'était jamais allée auparavant, commente Christopher Nolan. Mais ça en valait le coût. Toutes les scènes aériennes ont été captées avec le vrai ciel au-dessus et la vraie mer en dessous. Quand tu abordes un sujet comme celui-là, il faut que tout soit crédible, même à travers des personnages fictifs. Tu n'as pas droit à l'erreur. Pour un cinéaste, c'est à la fois intimidant et irrésistible!»

L'opération Dynamo en quelques chiffres

7669: Nombre de soldats évacués au cours du 27 mai 1940, première journée de l'opération Dynamo.

338 226: Nombre total de soldats évacués à la fin de l'opération, le 4 juin à 3 h.

700: Nombre approximatif de petits navires civils mis à contribution pendant l'opération Dynamo.

200: Nombre approximatif de navires détruits ou coulés pendant l'opération.

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Dunkirk (Dunkerque en version française) prendra l'affiche le 21 juillet. Les frais de voyage ont été payés par Warner Bros.

Des influences inattendues

Pendant tout le mois de juillet, le British Film Institute de Londres propose un programme constitué des films dont Christopher Nolan s'est inspiré pour élaborer Dunkirk. Étonnamment, peu de grands drames de guerre figurent dans cette sélection. «Ce sont essentiellement des films à suspense, car j'estime qu'ils représentent ce que le cinéma a de plus pur, a déclaré le cinéaste. Dunkirk est davantage une histoire de survie qu'un film de guerre.»

Le salaire de la peur, Henri-Georges Clouzot (1953)

Aux yeux de Christopher Nolan, ce grand classique du cinéma français est un modèle pour la façon dont la tension est créée. Mettant en vedette Yves Montand et Charles Vanel, ce film relate les tribulations d'aventuriers ayant accepté une mission périlleuse que leur a confiée en Amérique centrale une société pétrolière, en échange d'une importante somme d'argent.

Ryan's Daughter, David Lean (1970)

Dans le cinéma de son compatriote David Lean, Christopher Nolan apprécie particulièrement l'approche qu'emprunte le légendaire réalisateur de Lawrence of Arabia et Doctor Zhivago au chapitre de la mise en scène. Campé en Irlande en 1916, le récit relate le drame d'une jeune femme (Sarah Miles) mariée à un homme plus vieux, qui tombe amoureuse d'un major britannique (Christopher Jones) venu prendre le commandement d'une garnison voisine.

Foreign Correspondent, Alfred Hitchcock (1940)

Bien entendu, tous les films réalisés par le maître du suspense ont marqué l'esprit de Christopher Nolan. Ce dernier a pourtant choisi dans sa sélection Foreign Correspondent (Correspondant 17 en français), l'un des films un peu moins célèbres du réalisateur de Vertigo et Psycho. Joel McCrea incarne un journaliste new-yorkais dépêché à Londres en 1939 afin de s'informer de plus près sur l'éventualité du déclenchement d'une guerre en Europe.

L'aurore, Friedrich Wilhelm Murnau (1927)

Christopher Nolan a aussi montré à son équipe plusieurs classiques du cinéma muet, notamment pour illustrer la façon dont les maîtres de l'époque utilisaient l'espace pour construire leur narration. Intolerance (D.W. Griffith), Greed (Erich von Stroheim), mais aussi L'aurore, de Friedrich Wilhelm Murnau, le maître du cinéma expressionniste allemand. Dans Dunkirk, les dialogues sont d'ailleurs réduits au strict minimum.

Speed, Jan de Bont (1994)

Ce thriller de Jan de Bont, avec Keanu Reeves et Sandra Bullock, fait partie de ces films que les spectateurs regardent sur le bout de leur siège en se rongeant les ongles. Christopher Nolan voulait recréer ce genre de tension pour Dunkirk. Unstoppable, le tout dernier film de Tony Scott (avec Denzel Washington et Chris Pine), entre aussi dans cette catégorie.

Photo fournie par Warner Bros.