Le très beau film de Katell Quillévéré est le premier long métrage français dans lequel Anne Dorval a accepté de jouer après avoir été révélée là-bas grâce au film Mommy, de Xavier Dolan. Même si les offres s'enchaînent depuis, l'actrice se fait relativement discrète. Et tient à garder sa vie ici.

La toute première projection de Réparer les vivants a eu lieu à la Mostra de Venise, à la fin de l'été dernier. Quand les lumières de la Sala Casino se sont éteintes et que le générique est apparu, les journalistes québécois présents dans la salle ont eu droit à une certaine surprise. Peu d'entre eux savaient qu'Anne Dorval jouait un rôle important dans cette adaptation cinématographique du roman éponyme de Maylis de Kerangal, dans lequel elle prête ses traits à une femme en attente d'un nouveau coeur.

«Ce n'est pas vraiment par discrétion, mais il est vrai que je n'accorde pas beaucoup d'entrevues, a fait remarquer l'actrice lors d'un entretien accordé à La Presse la semaine dernière. C'est peut-être pour ça que ce genre de chose se sait moins. Il y a beaucoup d'affaires dans les médias. On m'appelle souvent pour commenter des choses dans l'actualité et je n'en ai pas vraiment envie. Quand j'ai l'impression de ne pas avoir quelque chose d'intéressant à dire, je préfère me taire!»

L'après-Mommy

Sa présence dans Réparer les vivants découle directement du succès de Mommy en France. Le film de Xavier Dolan, qui a obtenu le Prix du jury du Festival de Cannes il y a trois ans, a vraiment impressionné les gens de l'industrie du cinéma là-bas. En entrevue, plusieurs actrices françaises donnent souvent la composition d'Anne Dorval en exemple. Des cinéastes - parmi lesquels Katell Quillévéré (Un poison violent, Suzanne) - ont tout de suite eu envie de travailler avec elle.

«Il y a clairement un avant et un après-Mommy, indique celle qui a imité avec brio Melania Trump et Danièle Henkel dans le plus récent Bye bye. Le succès de J'ai tué ma mère en Europe était quand même plus confidentiel. Pour Mommy, j'ai reçu plein de témoignages. Sur le plateau de Réparer les vivants, par exemple, tous les membres de l'équipe avaient vu le film. Ils m'en ont tous parlé. Ça fait plaisir, évidemment, mais on se dit quand même: mon Dieu, c'est donc ben exagéré!» 

«Je crois que là-bas, ils n'osent pas écrire des personnages aussi flamboyants, peut-être même dangereux d'une certaine façon. Parce que la ligne est mince entre la caricature et la vérité.»

Autrement dit, Anne Dorval a pu camper dans Mommy un personnage dont l'impact peut déterminer l'orientation d'une carrière. Il est certain que l'approche de la comédienne n'aurait pas été la même si un tel succès était survenu il y a 20 ans.

«Si un succès international comme celui-là était arrivé au début de ma carrière, le cours de mon existence en aurait sans doute été changé, reconnaît-elle. Mais là, ma vie est ici, ma famille, mes amis, ma maison. Je n'ai pas le goût d'aller m'installer là-bas. J'ai plutôt envie d'y aller sporadiquement et d'en apprécier l'expérience. Sur le plan humain surtout. C'est rafraîchissant d'aller ailleurs, de rencontrer du nouveau monde. Je reçois maintenant beaucoup de propositions là-bas, mais je refuse beaucoup de choses. Parce qu'elles ne sont pas toutes intéressantes.»

Une rencontre déterminante

Son agent français prend soin de tout lui envoyer quand même. Avec parfois des annotations, favorables ou pas. Anne Dorval lit pratiquement tout ce qu'on lui fait parvenir. Très vite après avoir entamé la lecture d'un scénario, elle sait si le rôle lui convient ou si elle doit plutôt laisser tomber. Dans le cas de Réparer les vivants, une rencontre avec la réalisatrice fut déterminante.

«Un après-midi, j'avais au programme trois rendez-vous avec d'autres cinéastes et je n'avais pas le temps de répondre à la demande de Katell, explique-t-elle. Mais mon agent m'a dit: "Non! Annule un des trois autres, mais elle, il faut que tu la rencontres!" Je n'avais pas vu Suzanne encore, mais j'en avais beaucoup entendu parler. Cette rencontre de 30 minutes fut un véritable coup de foudre, autant sur le plan professionnel qu'amical. J'ai ensuite lu le roman, mais surtout son scénario. Que j'ai trouvé très lumineux, malgré un propos complexe. L'idée me plaisait de jouer cette femme qui n'est sûre de rien, et qui est souvent en contradiction avec elle-même.»

Pour l'actrice, l'expérience humaine vécue sur le tournage l'emporte sur tout le reste. Bien consciente du fait qu'au cinéma, le tout échappe souvent aux acteurs à l'étape du montage et de la postproduction, Anne Dorval regarde rarement les films dans lesquels elle joue.

«Je n'aime pas du tout me voir sur un grand écran, explique-t-elle. Je me vois, alors je m'haïs, c'est sûr. Comme tous les acteurs, je suppose. J'aime mieux garder le souvenir du tournage, les moments de bonheur, de doute, et les réactions de l'équipe, qui est le premier public. Mommy, ça m'a pris du temps avant de le voir au complet. On veut tous la perfection, mais on sait très bien qu'on ne l'atteindra pas. Je vois toujours les défauts, les erreurs, ce que j'ai à améliorer...»

Une comédie avec les Foenkinos

Récemment, Anne Dorval a tourné Jalouse, une comédie de David et Stéphane Foenkinos (La délicatesse). Elle y donne la réplique à Karin Viard et Anaïs Demoustier.

«Il y a d'autres projets de films dans l'air - de très beaux projets -, mais dont je ne peux parler pour le moment, ajoute l'actrice. On m'offre vraiment de belles affaires et je sens qu'il y a aussi des ouvertures du côté du théâtre. J'y reviendrai sans doute dans quelques années. Il y a aujourd'hui des choses qui se présentent pour moi au cinéma, à côté desquelles il serait difficile de passer.»

Réparer les vivants est actuellement à l'affiche.

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Tahar Rahim: entre la mort et la vie

Révélé grâce au film Un prophète, de Jacques Audiard, Tahar Rahim incarne l'infirmier coordonnateur de Réparer les vivants. C'est lui qui doit suggérer l'idée d'un don d'organe à une famille rudement éprouvée par la mort accidentelle d'un fils adolescent. «Katell Quillévéré m'a convaincu la seconde où je l'ai vue! expliquait-il récemment lors d'une rencontre à Paris. Je n'avais jamais eu la chance de jouer ce genre de personnage auparavant non plus. J'ai eu l'occasion d'aller faire pendant un mois un stage d'observation dans le service de celui qui a inspiré mon personnage. J'ai pu comprendre son travail et, surtout, apprendre l'attitude qu'il faut prendre dans ces circonstances. J'espère que ce film aura sur les spectateurs le même effet qu'il a eu sur moi, qu'il engendrera une réflexion personnelle. Il est important d'en discuter.»

photo fournie par axia films 

Tahar Rahim dans Réparer les vivants