Dans le nouveau film de Safy Nebbou, Raphaël Personnaz se glisse dans la peau d'un homme qui se rend seul au bout du monde pour voir s'il y est. Plus qu'un simple rôle, sa présence dans Dans les forêts de Sibérie constitue pour l'acteur une expérience qui a changé sa vie.

Il était de passage la semaine dernière à Montréal à titre d'invité du festival Cinemania, mais Raphaël Personnaz n'en était pas à sa première visite en nos terres. Il y a quelques années, il était des nôtres pour tourner une partie du film de François Ozon, Une nouvelle amie. L'acteur n'a d'ailleurs pas été vu au grand écran depuis. 

Révélé au cinéma il y a six ans grâce à La princesse de Montpensier, un film d'époque de Bertrand Tavernier, Raphaël Personnaz a ensuite enchaîné les tournages à un bon rythme. Au point que, la maturité aidant, il préfère désormais prendre son temps, devenir un peu plus sélectif quant à ses choix. Et puis, le théâtre reprend aussi sa place dans la vie de cet acteur qui, sur les planches, compte quand même une vingtaine d'années d'expérience.

«Il faut dire que lorsqu'on revient d'un tournage comme celui de Dans les forêts de Sibérie, il devient un peu difficile de retrouver sa vie normale d'acteur, explique-t-il au cours d'un entretien accordé à La Presse. Je me suis mis à l'écriture. Pendant un an, j'ai planché sur un scénario que je compte mettre en scène moi-même. J'en avais envie depuis très longtemps. Là, je me suis dit qu'il fallait le faire.» 

«Je souhaite aussi choisir des rôles qui me ressemblent davantage plutôt que d'aller vers la facilité. Le pari est peut-être un peu plus risqué, mais je compte le prendre. Tout cela s'affine!»

Révélateur d'une époque

Il y a cinq ans, le comédien a lu le récit autobiographique éponyme de Sylvain Tesson, lauréat du prix Médicis essai, sans imaginer qu'un jour, un film pourrait en être tiré. Et encore moins qu'il en serait la tête d'affiche.

«C'est un hasard total, raconte-t-il. Je rentrais tout juste d'un tournage au Tadjikistan, un pays qui ne ressemble pas du tout aux nôtres non plus, et j'avais beaucoup de mal à me réhabituer à notre vie quotidienne. C'est en regardant l'auteur lors d'une interview à la télé que j'ai eu envie de lire son livre. J'ai été fasciné par ce que ce récit raconte de notre époque. Il y a plein de gens qui sont fatigués, qui en ont marre, qui ont besoin d'apaisement et qui auraient envie de tout quitter pour vivre une expérience de cette nature. Parce qu'elle te ramène forcément à toi-même. À chacun sa cabane, comme dit Tesson!»

Raphaël Personnaz n'a pas hésité à embarquer dans une aventure qu'il aurait crue cinématographique avant tout. Et qui a pris une autre envergure. Comme Sylvain Tesson avant lui, l'acteur s'est rendu par temps très froid sur les bords du lac Baïkal, dans un endroit reculé de la Sibérie, pratiquement isolé de tout.

«Au départ, j'ai fait l'erreur de trop me préparer, confie-t-il. Devant la perspective d'un tel voyage, on essaie de tout prévoir et on se protège. Au début du tournage, j'étais un petit peu en résistance, mais j'ai réussi à me laisser aller progressivement. Safy Nebbou m'a vite fait comprendre que je ne devais rien rationaliser, être seulement dans la sensation, faire confiance à la grandeur de la nature. Que tout cela provoquerait des choses malgré moi. D'accepter d'être dans une forme de non-jeu, en fait. A priori, ça fait peur. Mais le travail doit être organique.»

Éloge de la candeur

L'acteur dit avoir entendu des moments de silence incroyables. Il affirme aussi que tous les membres de l'équipe ont finalement vécu 50 solitudes ensemble. Coupé de tout, loin de toute civilisation, chacun a dû suivre son propre parcours.

«Nous sommes partis juste après l'attentat de Charlie Hebdo, fait remarquer l'acteur. Pour nous, je crois aussi que ça correspondait à une espèce de fuite, ou à un besoin de ne plus être connecté en permanence sur la difficulté de l'information. La fuite n'est pas en soi quelque chose de péjoratif. Comme dit Tesson, à partir du moment où l'on fuit, on ne nuit pas. Cet appel-là trouve vraiment un écho chez nous parce qu'il n'y a pas beaucoup de possibilités d'évasion. Nous ne disposons pas de grands espaces comme il y en a chez vous.»

Quand on lui demande si le tournage de Dans les forêts de Sibérie a changé sa vie, le comédien répond par l'affirmative. Sans aucune hésitation.

«Si ce film n'avait été qu'une expérience de tournage sympathique, cela aurait été un peu triste. Là, je trouve que l'oeuvre est en parfait accord avec ce que nous avons vécu.» 

«Cette expérience nous a permis d'être dans une forme de candeur. Se permettre cette forme de candeur - je ne parle pas de naïveté - face au cynisme ambiant change forcément les choses. C'est comme arriver à retrouver son âme d'enfant, tout en étant bien conscient de la réalité des choses.»

Raphaël Personnaz montera par ailleurs en février sur les planches du Théâtre de l'Oeuvre pour livrer les Scènes de la vie conjugale de Bergman avec Laetitia Casta, dans une mise en scène de Safy Nebbou, le réalisateur de Dans les forêts de Sibérie.

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Dans les forêts de Sibérie est à l'affiche.