Le 7 juillet 2004, la regrettée Amy Winehouse chantait au Club Soda, dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal (FIJM). Onze ans plus tard, Amy, l'excellent documentaire d'Asif Kapadia (Senna) sur sa trop courte vie, sera présenté en avant-première québécoise au FIJM, le 4 juillet au cinéma Impérial, avant de prendre l'affiche le 10 juillet. Entrevue avec le cinéaste de ce film contesté par la famille de la chanteuse, disparue à 27 ans en 2011.

Asif Kapadia connaissait peu Amy Winehouse, même s'ils ont grandi dans le même quartier du nord de Londres. Mais le cinéaste n'a pas hésité longtemps à accepter la proposition de réaliser un documentaire sur la vie de la chanteuse néo-soul britannique.

Kapadia voulait comprendre comment cette jeune femme au talent exceptionnel avait pu mourir sous les yeux du public, d'abus d'alcool et de drogues, sans que personne ne semble intervenir pour la sauver. Il a réalisé pas moins d'une centaine d'entrevues avec des amis, parents et proches collaborateurs d'Amy Winehouse.

Comme c'était le cas dans son précédent documentaire Senna, sur le regretté pilote automobile brésilien, aucune des personnes interviewées n'a été filmée. Leurs voix multiples servent de trame narrative à ce film salué par la critique lors du dernier Festival de Cannes.

«Les gens avaient envie de me parler, de se confier à moi. C'était pour eux une thérapie, en quelque sorte», explique Kapadia en décrivant les entrevues qu'il a menées à compter de 2013, deux ans à peine après le décès par intoxication à l'alcool d'Amy Winehouse.

Amy, qui sera présenté en avant-première québécoise au Festival international de jazz de Montréal le 4 juillet au cinéma Impérial (avant de prendre l'affiche le 10 juillet), est la somme de ces multiples confessions ainsi que d'un défrichage d'archives remarquable.

Asif Kapadia a passé au peigne fin des centaines d'heures de séquences vidéo souvent inédites qui témoignent avec éloquence de la personnalité à la fois attachante et autodestructrice d'Amy Winehouse.

Une somme colossale d'archives publiques et privées - gracieuseté de la famille, d'imprésarios, d'amoureux ou d'amis d'enfance de la chanteuse -, savamment condensée en deux heures d'une tragédie grecque interprétée par un père manipulateur en quête de célébrité, un mari pygmalion toxicomane et une fille/épouse sacrifiée sur l'autel de la célébrité.

«On devient facilement gourmand, à la recherche de la perle rare, dit Kapadia. C'était comme ça avec mon documentaire sur Ayrton Senna. L'histoire se déploie à travers nos recherches. Il faut continuer de chercher, de rester à l'affût, et si on a de la chance, on tombe sur la séquence ou l'extrait dont on rêvait. Parfois, c'est l'histoire qui nous dicte la pertinence d'un extrait que l'on n'avait pas retenu au départ.»

Une famille mécontente

Le cinéaste n'était pas particulièrement fan d'Amy Winehouse. Il avait écouté ses disques, mais ne l'avait jamais vue en spectacle.

«J'avais envie de raconter l'histoire de la fille d'à côté, de mon quartier, qui est devenue une célébrité mondiale. Comme bien des gens, à la fin de sa vie, je me demandais pourquoi elle était toujours sur scène, à chanter, alors qu'elle n'était manifestement pas en état de le faire. Je me demandais pourquoi personne ne la protégeait.»

On ne s'étonne pas du tout que la famille de l'auteure-compositrice-interprète se soit dissociée de ce film à la fois sensible et percutant, qui présente le père de l'artiste, Mitch Winehouse, comme un être vil ayant profité de la notoriété de sa fille dépressive, boulimique et toxicomane, après l'avoir abandonnée à l'enfance.

Mitch Winehouse déclare dans le documentaire qu'il ne croyait pas que sa fille avait besoin d'une cure de désintoxication en 2005 (ce qui a inspiré son plus grand succès, Rehab). C'est à partir de ce moment, selon l'ex-imprésario de la chanteuse, que tout a dérapé.

Rendre justice

Le documentaire présente aussi le père Winehouse débarquant sans avertissement à Sainte-Lucie, où séjourne sa fille, accompagné d'une équipe de télévision.

«Le problème avec ce cinéaste, c'est qu'il a fait un documentaire hollywoodien. Il lui fallait un méchant», a regretté Mitch Winehouse en entrevue avec mon collègue Jean Siag, à l'occasion de son passage à Montréal la semaine dernière à titre de porte-parole du Festival international de cirque de Vaudreuil-Dorion.

«Je n'ai rien inventé, se défend Asif Kapadia. Il est allé à la télévision. Il est allé la rejoindre avec des caméras de télé alors qu'elle n'en avait pas envie. Évidemment que certains seront mécontents. Mais c'est un film sur elle, pas sur eux. C'est son histoire que j'ai voulu raconter, le plus honnêtement possible, en montrant tout ce qu'il était possible de montrer. Ce n'est pas pour rien que j'ai choisi ce titre. Je ne cherche pas la controverse. La personne qui a le plus souffert dans toute cette histoire, c'est Amy. C'est à sa mémoire que je voulais rendre justice.»

Le film d'Asif Kapadia nous rappelle la tristesse infinie d'une vie gâchée. Par les excès de toutes sortes, la traque insatiable des médias, l'appât du gain de son entourage.

«C'est un film sur le monde qui nous entoure, notre époque, l'appétit des médias pour la célébrité, les médias sociaux, les paparazzi et la souffrance d'une jeune femme ordinaire au talent exceptionnel», dit le cinéaste de 43 ans.

On en sort ému, ébranlé et choqué. C'était l'intention d'Asif Kapadia. «Pour être bien franc, dit-il, j'avais envie que les gens ne se sentent pas seulement tristes en sortant du film, mais en colère. J'ai envie que les choses changent. Que l'on apprenne de nos erreurs. Amy Winehouse a été la victime d'une campagne d'intimidation internationale, sur l'internet, dans les réseaux sociaux, de la part d'animateurs et d'humoristes très populaires.

«Elle était en détresse. Elle était malade. Et nous nous moquions d'elle. On a oublié qu'elle était un être humain. Nous sommes plusieurs à avoir été complices de sa mort.»

Alors que la presse anglo-saxonne a unanimement plébiscité son documentaire au Festival de Cannes - le Guardian de Londres lui a accordé cinq étoiles -, Asif Kapadia a été critiqué en France pour l'utilisation des images mêmes de paparazzi qu'il dénonce. Il s'agit, dit-il, d'un choix délibéré et pleinement conscient.

«Amy était une performeuse, qui aimait attirer l'attention. J'étais fasciné par son rapport à la caméra et sa relation avec les médias. Elle communiquait avec son public en fixant l'objectif. Mais les caméras des paparazzi se sont retournées contre elle. Pendant tout ce temps, elle nous regardait et nous la regardions.»