Admiratif du polar à la française et des vedettes qui l'ont incarné dans les années 70 - Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Lino Ventura -, Jean Dujardin se glisse dans la peau d'un jeune juge qui a payé de sa vie pour s'être attaqué à la fameuse French Connection.

Jean Dujardin ne s'est pas fait prier pour prêter ses traits à un juge dont le rôle fut déterminant dans la fragilisation de la fameuse French Connection. En prime, l'occasion de jouer dans un polar campé dans les années 70.

Depuis son triomphe aux Oscars grâce à The Artist il y a trois ans, Jean Dujardin s'est plutôt fait discret. Il y eut bien sûr Les infidèles, ce film à sketches tourné avant le sacre de l'Académie. L'acteur a aussi tenu l'affiche de Möbius, un film d'Éric Rochant (Un monde sans pitié), toujours inédit au Québec. Mis à part des participations dans The Wolf of Wall Street (Martin Scorsese) et The Monuments Men (George Clooney), Jean Dujardin a préféré jouer profil bas.

«J'ai toujours gardé un rythme de travail qui me convenait, confiait l'acteur au cours d'une interview accordée à La Presse au festival de Toronto l'an dernier. Je n'ai pratiquement jamais tourné plus d'un film par an. Après cette grande folie des Oscars, j'ai aussi eu besoin de prendre un peu de recul, d'autant qu'il y a eu beaucoup de changements dans ma vie.»

Même si un Oscar ne change pas le monde, recevoir l'ultime honneur hollywoodien modifie forcément le regard que les autres posent sur vous. Surtout dans le cas d'un acteur étranger.

«Je me suis vite rendu compte que ce genre de chose entraîne beaucoup de fantasmes, fait remarquer celui qui fut révélé au grand public français grâce à Un gars, une fille. Les gens se mettent à commenter votre vie, et certains commencent aussi à vous imaginer en train de faire des crises de vedette. Ce serait insulter mon intelligence et mon éducation de croire que je vais péter les plombs parce que j'ai une statuette chez moi. Cet Oscar est un heureux accident. Qui relève davantage d'un concours de circonstances. Il s'adonne que cette année-là, vous jouez dans un film que tout le monde apprécie. Et c'est bien tant mieux. Mais ça ne fait pas de vous le meilleur acteur dans l'absolu. J'ai ainsi eu besoin, peut-être, d'un moment pour calmer les choses un peu.»

Un polar ambitieux

L'acteur était en vacances avec son pote Gilles Lellouche quand les deux hommes se sont finalement mis à lire un scénario que leur avait fait parvenir Cédric Jimenez. Le jeune cinéaste, qui n'avait qu'un film à son actif (Aux yeux de tous, inédit au Québec), avait le dessein de fabriquer un polar à la française ambitieux, qui ferait écho à une véritable histoire de banditisme s'étant déroulée à Marseille dans les années 70.

«Le script était bien écrit, bien construit, souligne Jean Dujardin. Comme Cédric Jimenez est lui-même marseillais et qu'il était bien au fait de cette histoire, il nous en a très bien parlé. Il en était vraiment habité. Quand on me propose un rôle, je n'ai pas d'a priori. Si le scénario est solide et que la personne qui me le propose en parle bien, je n'ai aucune raison d'hésiter.»

Jean Dujardin s'est ainsi glissé dans la peau du juge Pierre Michel. Ce jeune magistrat, descendu de Metz avec sa famille, a été mandaté en 1975 pour s'attaquer à la fameuse French Connection, une organisation mafieuse spécialisée dans le trafic d'héroïne rendue célèbre grâce notamment au film américain qu'a réalisé William Friedkin en 1971. Gene Hackman, Roy Scheider et Fernando Rey en étaient les vedettes.

«Le juge Michel n'était pas un insoumis; plutôt un croisé, fait remarquer l'acteur. Il était parti en croisade pratiquement seul contre Gaëtan Zampa, le parrain de l'époque. C'est un héros. Nous n'avons pas tellement le culte du héros en France. Mais cet homme avait aussi quelques défauts, quelques aspérités. Ce rôle me donnait l'occasion de jouer à la fois un juge, un père de famille, un mari. Je pouvais y mettre beaucoup d'humanité, car ce personnage me touche. En plus, ce film s'inscrit dans la grande tradition des films policiers des années 70, réalisés par des cinéastes comme Henri Verneuil, Georges Lautner et quelques autres. Au départ, j'aime beaucoup ce cinéma-là et ceux qui l'ont incarné: Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Lino Ventura pour ne nommer qu'eux.»

Rendre justice à l'homme

En évoquant un épisode relativement récent de l'histoire judiciaire française, Jean Dujardin savait très bien qu'une responsabilité particulière l'attendait: celle d'être fidèle à l'image qu'a laissée Pierre Michel dans les esprits.

«Sa famille vit une douleur qui ne s'effacera sans doute jamais. Je comprends cette douleur, je comprends cette réticence. Si j'étais placé dans la même situation, je n'aimerais probablement pas qu'on interprète la vie de mon père au cinéma. J'ai parlé à la fille de Pierre Michel au téléphone. Je lui ai dit que quand j'incarne des personnages à l'écran, c'est parce que je les aime. Et que j'allais essayer de l'aimer le plus possible afin de rendre justice à cet homme dont la mémoire à Marseille est encore très vive. En même temps, on fait du cinéma. Avec la notion de transposition que ça implique. J'essaie, en tout cas, de m'approcher de l'essence du personnage.»

Au fil du tournage, l'acteur s'est aperçu que ce personnage occupait beaucoup d'espace dans sa vie. «Surtout qu'il fallait parfois se mettre dans des états très intenses pour pouvoir faire honneur à ce qu'a dû vivre cet homme intérieurement», précise-t-il.

Même s'il partage finalement très peu de scènes avec Gilles Lellouche (bien qu'il y ait la confrontation attendue), Jean Dujardin était heureux de pouvoir travailler avec un grand ami. «Ça facilite les choses, c'est certain.»

Cet hiver, Jean Dujardin est allé en Inde pour tourner Un plus une. Dans ce nouveau film de Claude Lelouch, l'acteur donne la réplique à Christophe Lambert et Elsa Zylberstein.

La French prend l'affiche le 24 avril.

Des résonances personnelles pour Cédric Jimenez

Quand le juge Pierre Michel a été brutalement assassiné, en 1981, Cédric Jimenez avait à peine 5 ans. Mais pour ce Marseillais, l'histoire du juge qui a mené une guerre au banditisme n'en comporte pas moins des résonances personnelles.

«Cette histoire est déjà légendaire à Marseille, mais elle revêt aussi un caractère un peu particulier pour moi, a-t-il expliqué lors d'un entretien accordé à La Presse

«À cette époque, mon père était propriétaire d'une boîte de nuit. Forcément, il a un peu subi les turbulences de cette affaire. Je connais très bien les enfants de Gaëtan Zampa, par exemple. J'ai été en contact avec sa femme aussi. J'ai respecté ce qu'ils ont vécu de leur côté, même si le récit emprunte le point de vue du juge.»

Admiratif du cinéma de Jean-Pierre Melville et d'Henri Verneuil, Cédric Jimenez se réclame un peu de cette tradition, plus française qu'américaine.

«Ces cinéastes ont même influencé des cinéastes américains, fait-il remarquer. Scorsese, notamment. Mais, sans qu'on ne puisse vraiment l'expliquer, cette tradition s'est un peu perdue dans le cinéma français. Je ne me compare pas du tout à ces maîtres, mais je partage une communauté d'esprit certaine avec eux.»

En plus de lui avoir donné l'occasion de porter à l'écran une histoire qu'il gardait en lui depuis longtemps, La French a permis à Cédric Jimenez de mettre sa ville en valeur.

«C'est une façon de raconter ma ville, de la filmer, dit-il. Aujourd'hui, Marseille a beaucoup changé. Contrairement à ce que les gens pensent, ce n'est pas plus agressif qu'à Paris. Mais ça reste une ville portuaire, chaude, très latine. À la fois très hospitalière, mais aussi très chauvine et orgueilleuse. Les mentalités restent bien ancrées. Mais c'est une ville qui évolue quand même. En bien, je trouve. J'adore ma ville!»

Photo Films Séville

Jean Dujardin et Cédric Jimenez

Une sortie marquée par une polémique

Lancé en primeur mondiale au festival de Toronto l'an dernier, La French a pris l'affiche en France trois mois plus tard. Même s'il a attiré plus de 1 500 000 spectateurs dans les salles, le film n'a pas obtenu le succès escompté. On attendait mieux de la part d'une production importante, dotée d'un budget de 21 millions d'euros (environ 27 millions de dollars). Il est bien difficile de cibler un aspect précis pour expliquer cette contre-performance, mais il est clair que la sortie surprise de la famille de Pierre Michel n'a certes pas dû aider les choses.

Dans un communiqué transmis à l'AFP, la famille du juge assassiné a en effet affirmé n'avoir jamais validé le scénario avec les producteurs et « souffrir de ce film ». La famille Michel rejette l'existence même de La French dans son ensemble, ne considérant pas ce film comme un hommage au juge, mais la voyant plutôt comme une « oeuvre de fiction dont bon nombre d'éléments sont entièrement fictifs et ne reflètent en rien sa vie et son histoire ».

Lors d'un entretien accordé à Allociné, le réalisateur Cédric Jimenez s'est dit surpris par cette sortie. Et attristé. « Surpris d'une part, car nous avons montré le film à la famille Michel au mois de juillet, soit près de six mois avant sa sortie en salle. Ce communiqué de presse pourrait laisser croire, à tort, qu'elle l'a découvert le jour de sa sortie. Triste d'autre part, car j'ai travaillé chaque jour durement pendant trois ans et demi pour que ce film puisse voir le jour. J'ai toujours souhaité, avec ce film pris dans sa globalité, rendre un hommage sincère et total au juge Michel, qui était un grand homme et pour lequel j'éprouve un immense respect. »