Lauréat du Prix du scénario au Festival de Cannes, finaliste pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, Leviathan séduit à l'étranger, mais est fortement critiqué par les autorités en Russie.

Dès Le retour, son premier long métrage, le cinéaste russe Andreï Zviaguintsev s'est imposé sur la scène internationale en obtenant le Lion d'or de la Mostra de Venise. Le bannissement et Elena sont ensuite venus confirmer l'importance de cette voix singulière dans le cinéma russe et international. Maintenant âgé de 50 ans, Zviaguintsev ne s'attendait sans doute pas à créer la polémique chez lui ni devoir conjuguer avec les nouvelles règles imposées par le gouvernement de Vladimir Poutine en matière de cinéma.

«J'ai l'intention très ferme de rester dans mon pays et de continuer à tourner des films chez moi», a-t-il déclaré l'an dernier lors d'une conférence de presse au Festival de Cannes. «Mon objectif n'a jamais été de chercher la confrontation avec le pouvoir. Je crois que le problème existe dans tous les pays. Les artistes ont le devoir de dire la vérité et de lutter éventuellement contre les autorités qui n'aiment pas entendre cette vérité. De deux choses l'une: ou on se tait, ou on traite les sujets de la façon la plus honnête possible. Je ne peux prédire l'avenir. Mais je ne veux pas entrer dans une dynamique de crainte et de peur. Mieux vaut prendre les choses au fur et à mesure. On verra.»

Lancé en primeur mondiale à Cannes, Leviathan est une satire féroce dont l'histoire tourne autour d'un homme que l'État, corrompu à tous les niveaux, dépossède non seulement de sa propriété, mais aussi de sa vie. En parallèle, l'histoire d'une Russie malade qui tente de noyer sa crise existentielle dans l'alcool.

«Je me suis inspiré d'une histoire qu'on m'a racontée en 2008, qui s'est passée aux États-Unis, explique le cinéaste. Un homme au Colorado était propriétaire d'une parcelle de terrain qu'une usine possédait tout autour. On l'a intimidé parce qu'il refusait de la leur vendre. À bout, il a transformé son tracteur en bulldozer et est allé détruire des bâtiments administratifs avant de se suicider. J'ai transposé l'histoire en Russie. J'y ai ajouté des thèmes qu'on ne peut éviter quand on parle de la société russe.»

Un point de départ biblique

Le titre du film est venu au cinéaste pendant la lecture du Livre de Job dans l'Ancien Testament. L'image du monstre marin évoqué dans la Bible emprunte ici la forme de la corruption étatique. Pour mieux faire passer le propos, le cinéaste n'a pas hésité à parsemer son récit de touches d'humour.

«Ce film est tout sauf une comédie! indique pourtant Zviaguintsev. Cette histoire est très réaliste. L'humour n'a pas été intégré au récit de façon consciente. Cela s'est fait spontanément. Comme le tragique et le comique coexistent dans la vie humaine, ces deux éléments doivent aussi se retrouver à l'écran. Sinon, ça devient insupportable. J'ai été très heureux quand on m'a appris que les spectateurs étrangers riaient à plusieurs reprises pendant la projection!»

Évidemment, de l'eau a coulé sous les ponts depuis le lancement du film au Festival de Cannes il y a maintenant huit mois. La sortie de Leviathan en Russie, d'abord prévue en septembre 2014, a dû être décalée. Une nouvelle loi condamnant l'utilisation de «gros mots» au cinéma est entrée en vigueur l'été dernier. 

Zviaguintsev a dû retravailler sa version russe pour masquer discrètement une vingtaine de répliques jugées trop vulgaires. Les deux ou trois endroits où il était impossible de modifier le dialogue seraient maintenant ponctués d'un «bip».

Controverse en Russie

Aussi, l'engouement que suscite Leviathan en Occident - il a gagné le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère - irrite visiblement les autorités russes. Au lendemain de l'annonce des nominations pour les Oscars, où Leviathan est en lice dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, le ministre de la Culture a déclaré: «Je n'aime pas ça.»

Selon ce que rapporte le journal The Moscow Times, il accuse en outre le film d'opportunisme dans sa quête de reconnaissance internationale et lui reproche de ne montrer aucun personnage «positif».

«Ce que déteste Zviaguintsev est plus ou moins clair, a déclaré Vladimir Medinski. Mais qu'aime-t-il? La gloire, les tapis rouges et les statuettes. Ça, c'est clair!»

«La première chose que le ministre m'a dite après avoir vu le film, c'est: "en Russie, on ne boit pas comme ça! "», a confié Andreï Zviaguintsev.

Leviathan a été financé à hauteur de 35% par les institutions publiques. Pour la suite des choses, le cinéaste se montrait récemment moins optimiste qu'au Festival de Cannes.

«Ce film ne serait probablement plus soutenu aujourd'hui par le ministère de la Culture», a-t-il déclaré.