Jean-Marie Lamour vit dans le sous-sol d'un immeuble d'appartements, à Laval. On arrive chez lui par l'ascenseur, après avoir suivi un dédale de couloirs sombres éclairés au néon.

À l'intérieur, c'est propre et bien tenu. La déco se résume à quelques objets IKEA, des photos encadrées et des souvenirs exotiques de la Guadeloupe.

Difficile de croire que trois longs métrages d'animation sont nés dans ce petit logement sans prétention.

Et pourtant. C'est bien ici - plus précisément dans sa chambre - que Jean-Marie Lamour fait ses films. Un ordinateur et un écran géant ont été installés près de son lit. On devine que chez lui, le cinéma est une obsession qui se vit peu importe l'heure et l'endroit.

«L'inspiration me vient souvent la nuit, explique l'Haïtien d'origine. Comme ça, ça me fait moins loin. Je me lève et je suis tout de suite à ma table de travail.»

Jean-Marie Lamour lance le 26 juillet, au cinéma du Parc, sa troisième oeuvre: Le vrai amour d'un Caco. Ce film d'animation raconte un épisode mal connu de l'histoire haïtienne, soit l'invasion américaine de 1915, qui s'était soldée par l'assassinat d'un certain Charlemagne Péralte, devenu depuis un héros national.

«C'était le Che Guevara haïtien, résume Jean-Marie Lamour, enthousiasmé par son sujet. C'est une histoire qui n'a jamais été écrite. Il fallait qu'elle soit racontée.»

Comme ses deux films précédents (Corrie le Seigneur et Bouki et Malice), M. Lamour a fait ce film tout seul à l'ordinateur, à l'aide du logiciel iClone.

Quelques acteurs bénévoles lui ont donné un coup de main pour les voix. Mais c'est lui qui a signé le scénario, écrit les textes, créé les dessins, imaginé les costumes, fait le montage et même le sous-titrage du film. Au total, Le vrai amour d'un Caco lui aura coûté 9000$, somme qu'il a entièrement payée de sa poche, sans aucune subvention.

Forcément, le résultat a ses limites. Faute d'un budget approprié, Le vrai amour d'un Caco est loin des superproductions hollywoodiennes de Disney et de Pixar. La touche est naïve, le réalisme, douteux. Certains pourraient y voir de l'amateurisme, d'autres une certaine forme d'art brut.

Mais Jean-Marie Lamour s'en moque. Il a suivi sa vision. Et même s'il n'a pas encore les moyens de ses ambitions, il est tout de même très fier de son travail. «C'est l'histoire qui compte, dit-il d'un ton assuré. Si l'histoire est bien racontée, les gens vont oublier le dessin animé.»

Quitter Haïti

Visiblement, l'homme ne manque pas de confiance. Malgré son côté timide et discret, Jean-Marie Lamour, 48 ans, semble très bien savoir ce qu'il fait et où il s'en va.

Pour lui, le cinéma d'animation est une passion, voire une vocation, et ce ne sont ni les budgets faméliques ni l'absence de subvention qui le feront dévier de sa route.

«Si j'attends d'avoir les moyens, dit-il, je ne ferai jamais rien», souligne celui qui gagne officiellement sa vie comme ouvrier dans une fabrique de climatiseurs.

Cette passion, poursuit-il, remonte à une trentaine d'années. Jean-Marie était alors projectionniste au Capitole, un grand cinéma de Port-au-Prince. Il adorait son boulot et n'a pas tardé attraper le virus du 7e art.

Malheureusement, la situation politique en Haïti est devenue insoutenable. Et dangereuse. Les manifestations devenaient violentes. Après avoir assisté impuissant au passage à tabac d'un ami, Jean-Marie a décidé de quitter Haïti pour d'autres cieux. «Je venais de perdre ma mère, c'était une période difficile», dit-il, émotif.

C'est à Boston, où il a vécu de 1993 à 2009, que Jean-Marie Lamour a appris les bases du dessin animé par ordinateur. Le film Avatar a achevé de le convaincre. L'animation était pour lui la voie à suivre: plus de possibilités, moins de coûts.

Arrivé à Montréal, après une rupture amoureuse difficile, il a plongé dans la création sans regarder derrière lui.

Sortir de la marge

Corrie le Seigneur, son premier film sorti en 2011, s'est miraculeusement faufilé jusqu'au festival du film de la Guadeloupe. Le suivant, Bouki et Malice (2012), a moins bien marché.

Bizarrement, aucune de ses productions n'a encore été montrée en Haïti, une absurdité considérant que ses films racontent tous des histoires profondément haïtiennes. Le cinéaste assure toutefois que Le vrai amour d'un Caco sera montré cet été dans au moins deux salles de son pays d'origine.

Certes, on est encore loin d'une diffusion à grande échelle. Depuis son sous-sol de Laval, Jean-Marie Lamour demeure un phénomène underground, avec des fantasmes plus grands que la réalité. Mais Le vrai amour d'un Caco pourrait être le film qui le sortira de l'anonymat.

«Je sens beaucoup d'intérêt, dit-il. C'est un sujet qui interpelle plusieurs Haïtiens.»

Confiant, dites-vous? Il faut l'être quand on avance ainsi, en marge de l'industrie, sans équipe et sans moyens. Selon le chanteur montréalo-haïtien Fritz Jocelyn, qui prête sa voix à un personnage du film, c'est d'ailleurs ce qui le rend si convaincant, quand vient le temps d'embaucher ses comédiens.

«Jean-Marie est quelqu'un de très motivant, conclut M. Jocelyn. Je le trouve courageux de vouloir innover et de prendre ces initiatives. Quand je le vois partir dans sa folie, on n'a pas le choix d'embarquer dans son rêve avec lui. On le suit par solidarité.»

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Le vrai amour d'un Cacoest présenté au Cinéma du Parc le 26 juillet à 19h.