Michel Bouquet a laissé le peintre Auguste Renoir habiter son corps pour la durée d'un film, sans même être «mis au courant».

À 87 ans, Michel Bouquet brûle toujours les planches. Figure emblématique de la pièce Le roi se meurt, l'acteur joue encore régulièrement l'oeuvre d'Ionesco en tournée. Au moment de cet entretien exclusif accordé à La Presse, M. Bouquet arrivait de Genève, où il avait donné une représentation, et s'apprêtait à monter de nouveau sur la scène d'un théâtre parisien. C'est d'ailleurs à cause d'un conflit d'horaires qu'il a dû renoncer à regret à jouer dans L'autre maison, le long métrage du Québécois Mathieu Roy (à l'affiche plus tard cette année).

«J'avais déjà signé pour une nouvelle tournée du Roi se meurt au moment où le projet de L'autre maison a enfin eu le feu vert, a expliqué l'acteur. J'ai beau avoir joué cette pièce des centaines de fois, il reste que je dois absolument disposer d'un temps de répétitions. Mais je retravaillerai certainement avec Mathieu si l'occasion se présente. Je l'aime beaucoup.»

Comme un miracle

Figure légendaire du monde théâtral, Michel Bouquet a aussi eu l'occasion de se faire valoir au cinéma, particulièrement au cours des deux ou trois dernières décennies. Chabrol (Poulet au vinaigre), Corneau (Tous les matins du monde), Van Dormael (Toto le héros), Blier (Les côtelettes) ont notamment fait appel à lui. Les personnages mythiques ne lui font pas peur. Après avoir prêté ses traits à François Mitterrand dans Le promeneur du champ de Mars (Robert Guédiguian), voici qu'il se glisse dans la peau souffrante du peintre Auguste Renoir au crépuscule de sa vie.

Renoir, présenté l'an dernier en clôture de la section Un certain regard du Festival de Cannes, décrit l'arrivée dans la vie du peintre de sa dernière muse, une jeune femme rayonnante de beauté (Christa Theret). Déjà très éprouvé par la perte de son épouse, sans oublier la maladie et l'inquiétude de savoir son fils au front (nous sommes en 1915), Auguste Renoir voit ce jeune modèle apparaître comme un miracle.

Le récit se concentre ainsi sur le lien qui se tisse entre le peintre et sa nouvelle égérie, prénommée Andrée, mais aussi sur celui que nouera la jeune femme avec le fils Jean, revenu blessé du front. C'est d'ailleurs grâce à Andrée que le jeune homme (Vincent Rottiers) s'intéressera à cette nouvelle forme d'expression qu'est l'art cinématographique.

«Un rôle comme celui-là est une bénédiction, affirme Michel Bouquet. L'acteur n'a qu'à s'effacer pour correspondre à la façon très particulière qu'avait Renoir de se présenter au monde. Cela passe par les vêtements, l'attitude, le geste. Quand on dispose de ces éléments, une grande partie du travail est déjà fait. Par lui, pas même par moi!»

«À vrai dire, Renoir était beaucoup plus facile à incarner que François Mitterrand, poursuit-il. Pour Mitterrand, nous avions d'abord moins de recul. Ensuite, le personnage était beaucoup plus ambigu. Il était d'une telle complexité et tellement contrasté qu'il en devenait insaisissable par moments. Renoir était plus simple. Sa figure était plus rustique.»

L'abandon total

Après des décennies de carrière, Michel Bouquet affirme éprouver le même attachement pour l'exercice de son métier qu'à ses débuts. «Aujourd'hui, je suis davantage intéressé par ce que cache un personnage que par ce qu'il laisse montrer de lui-même. J'ai été très touché de pouvoir jouer Renoir et d'avoir pu partager la vision du réalisateur Gilles Bourdos. Très vite, nous nous sommes entendus pour présenter la figure de Renoir plutôt que son être. C'est-à-dire que j'ai pu le laisser libre d'exister en moi, presque malgré moi, sans que je sois au courant. Il n'y a aucune trace de portrait psychologique dans notre manière de le représenter. Nous sommes restés complètement fidèles à la figure, à la manière qu'il avait de tenir et de sentir son pinceau, aux souffrances physiques atroces qu'il ressentait la nuit à cause de son rhumatisme. Renoir se levait à la lumière du jour, parce qu'il allait mieux, et s'arrêtait de peindre dès que se couchait le soleil. Dans son esprit, peindre à la lumière artificielle était inconcevable.»

Intéressé par l'artiste peintre et son _uvre bien avant de penser qu'il aurait pu un jour l'incarner, Michel Bouquet a pu s'abandonner au rôle, déjà fort d'une bonne connaissance du personnage.

«J'ai toujours beaucoup aimé l'emploi très parcimonieux de la couleur chez Renoir. La couleur prend une force impressionnante dans ses tableaux du fait qu'il en utilisait très peu. Ses écrits sont aussi fascinants à lire, car ils révèlent sa personnalité intime. Cet illustre impressionniste a peint comme personne les fleurs, les enfants et surtout la chair des femmes. Tout est là.»

Renoir prend l'affiche le 12 avril.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.