Jason Reitman a quitté Montréal quelques mois seulement après sa naissance. Mais à la veille de la cérémonie des Oscars, le cinéaste de la brillante comédie Juno (quatre nominations dans des catégories de pointe), clame haut et fort son appartenance à son pays d'origine. Entrevue avec un jeune cinéaste lucide, qui a Hollywood à ses pieds.

«Ma mère me parlait en français quand j'étais petit. J'ai pris des cours, mais je ne pratique pas assez.» Au bout du fil, Jason Reitman m'accueille dans un français hésitant, mâtiné d'anglais, mais étonnamment maîtrisé pour quelqu'un qui a passé sa vie en Californie.

Lorsque je lui propose, après lui avoir fait la remarque, de poursuivre la conversation en anglais, il me répond dans la langue de Spielberg, le sourire dans la voix: «Chaque fois qu'on me fait un compliment sur mon français, on me propose du même souffle de passer à l'anglais. Est-ce que je devrais en être vexé?»

Ces jours-ci, on ne complimente pas Jason Reitman que sur la qualité de son français. À 30 ans, et seulement son deuxième long métrage, le cinéaste est déjà candidat aux plus prestigieux des Oscars, ceux du meilleur film et de la meilleure réalisation pour Juno, une brillante comédie sur l'adolescence, qui fait actuellement un tabac au box-office.

L'invité-surprise de la cérémonie des Oscars de demain est aussi en lice dans les catégories du meilleur scénario original (de la stripteaseuse devenue scénariste Diablo Cody) et de la meilleure actrice (Ellen Page). «Elle est formidable, dit Reitman (en français) à propos de la jeune comédienne. Je ne crois pas un jour travailler avec une actrice plus douée.»

Fils du réalisateur et producteur torontois Ivan Reitman (Ghostbusters, Old School) et de l'ex-comédienne québécoise Geneviève Robert, Jason Reitman est né à Montréal, le 19 octobre 1977. Sa famille a quitté Montréal pour Los Angeles quelques mois plus tard. «Mais mes grands-parents, mes oncles, mes tantes et mes cousins sont toujours au Québec, dit-il. La moitié de ma famille est à Montréal, et l'autre moitié à Toronto.»

Un film «canadien»

Juno, l'histoire d'une adolescente de 16 ans (Ellen Page) qui tombe enceinte et décide de confier son bébé à un couple sans enfants, a aussi une fibre canadienne particulière. Cette comédie irrévérencieuse a non seulement été réalisée par un Montréalais d'origine, mais elle met en vedette deux Canadiens (Ellen Page et Michael Cera) et a été tournée dans la région de Vancouver.

Depuis la sortie du film, Jason Reitman clame d'ailleurs haut et fort sa «canadienneté», qu'il dit avoir redécouvert il y a quelques années. «Ma femme est une Chinoise de Vancouver. Lorsque nous nous sommes rencontrés à Los Angeles, je lui ai dit que j'étais aussi canadien. Mais quand elle a su que je ne connaissais pas l'hymne national, que je ne jouais pas au hockey et que je ne m'y intéressais pas, elle a trouvé que je faisais de la publicité trompeuse!»

Reitman a eu tôt fait d'apprendre le Ô Canada («La version anglaise seulement», précise-t-il), est devenu fan des Canucks de Vancouver et joue aujourd'hui dans une ligue de garage d'expatriés à Los Angeles. «Je ne patine pas bien, mais j'ai du coeur au ventre», admet le cinéaste, qui se promet d'être à Montréal, l'an prochain, pour le match des étoiles de la LNH.

Rayon de soleil

Négligé face aux favoris No Country for Old Men et There Will Be Blood, Juno fait l'effet d'un rayon de soleil cette année dans la course à l'Oscar du meilleur film, dont la sélection de haute tenue est particulièrement sombre et aride. «On peut dire que Juno est un feel-good movie, croit Jason Reitman. C'est un film fait de certitudes, à une époque d'incertitudes et de dangers. Il agit un peu comme un baume, contrairement à d'autres finalistes qui ont des fins ouvertes, incertaines, et qui rendent compte d'un certain état d'esprit très pessimiste aux États-Unis.»

Candidat «Cendrillon» aux Oscars, Juno est une comédie intelligente dans le moule de Little Miss Sunshine, le film «champ gauche» de l'an dernier. «La comparaison est flatteuse, me répond Reitman lorsque je lui fais la remarque. D'autant plus que les comédies ont longtemps été boudées par l'Académie. Les réalisateurs de comédies ne sont pratiquement jamais récompensés, à l'exception de Woody Allen. Pourtant, avec une comédie intelligente, on arrive à dire bien des choses que l'on ne pourrait dire aussi efficacement dans un drame.»

Dans ce contexte, Reitman a évidemment été surpris par les multiples sélections de Juno à la soirée strass et paillettes annuelle du cinéma américain. «J'espérais des nominations pour Ellen Page et pour le scénario de Diablo Cody, dit-il. Je me disais aussi que le film avait une petite chance d'être retenu dans la catégorie du meilleur film. Mais j'étais convaincu que je ne serais pas sélectionné parmi les meilleurs réalisateurs. Quand j'ai vu mon visage à l'écran, je n'y croyais pas.»

Croit-il désormais davantage en ses chances? «Pas du tout! No Country for Old Men va tout gagner, c'est entendu. Cette nomination pour la meilleure réalisation, c'est déjà le comble. S'il fallait que je gagne un Oscar, ce pourrait être inquiétant pour ma santé! Je suis déjà convaincu que lorsque je vais mourir, Juno sera le film le plus cité dans ma nécrologie. C'est parfait comme ça. J'accepte que ma carrière n'ira pas toujours aussi bien. Quoi que je fasse, je sais déjà que mon prochain film (une satire sur le monde de la finance, prévue pour 2009) ne sera probablement pas bien reçu.»

La lucidité et le détachement de Jason Reitman vis-à-vis de son métier lui viennent entre autres de son père Ivan, qui lui a appris qu'être cinéaste comportait son lot de hauts et de bas. «Les gens pensent qu'avoir un père cinéaste ouvre toutes les portes à Hollywood. C'est faux. J'ai mis cinq ans à faire mon premier film (l'inspiré Thank You For Smoking) parce que personne n'en voulait. C'est finalement un millionnaire de l'Internet qui a accepté de le financer. J'ai compris en voyant la carrière de mon père, en voyant ses succès et ses échecs, qu'il fallait en profiter pendant que ça passe.» Dont acte.