Palme d'or au Festival de Cannes, prix Lumière du meilleur film attribué par les correspondants étrangers en poste à Paris, en nomination pour l'Oscar du meilleur film étranger, Entre les murs de Laurent Cantet, inspiré du livre de François Bégaudeau, est arrivé hier sur nos écrans.

Rencontre avec un réalisateur qui abat les murs entre le documentaire et la fiction pour nous faire pénétrer entre ceux de l'école.

«J'espère que le film rend justice à ces gamins. Qu'il vient contrebalancer une espère de stigmatisation presque systématique de cette tranche d'âge en général, en particulier celle qui est constituée de ceux d'entre ces jeunes qui sont issus d'une culture dans laquelle nous n'avons pas nos repères», racontait Laurent Cantet lors de son passage à Montréal pour rencontrer les journalistes en vue de la sortie québécoise, hier, d'Entre les murs.

«Je souhaite que les gens se disent: Ces gamins sont assez intelligents pour m'avoir épaté deux ou trois fois pendant la projection.»

Ils s'appellent Esméralda, Souleymane, Wei, Justine. Et ils l'ont épaté, lui. Pas juste deux ou trois fois, au cours de l'année qu'il a passée en leur compagnie.

Parce que ce film tout en vérité et en justesse, en nuance et en simplicité, qui allie l'efficacité du documentaire à la manière de la fiction, est le fruit de sept mois d'ateliers d'improvisation, de sept semaines de tournage, de quatre mois et demi de montage. Un luxe de temps, diront certains.

«Un luxe que je me suis accordé, fait le réalisateur. Parce que pendant toute cette période, je n'ai pu travailler sur autre chose», précise Laurent Cantet.

Un choix, donc, plus qu'un luxe. Une manière de travailler. Une vision du métier. «Ce que je cherche, c'est le dispositif, la stratégie pour arriver à dire ce que j'ai à dire. Avec une autre méthode de travail et des acteurs professionnels, je n'aurais pas eu le même film.

Il aurait peut-être été intéressant, mais je n'aurais pas eu le même plaisir à le faire. Et il n'aurait pas eu la même énergie. L'énergie d'Entre les murs ne se fabrique pas, elle se capte.»

C'est pourquoi, comme il l'avait fait dans une certaine mesure pour Ressources humaines, L'emploi du temps et Vers le Sud, il a engagé des acteurs non professionnels (voir autre texte).

Mais cette fois, dans à peu près tous les rôles. Même les principaux. Pour raconter, sur une année, une classe. Dans un collège parisien multiculturel. Le quotidien des jeunes, de leur prof de français (incarné par François
Bégaudeau, auteur du livre dont le film est une adaptation libre) et, en périphérie, celui des autres profs, de la direction de l'école et des parents d'élèves. Leur quotidien, mais quand ils sont à l'école. Point.

Parce qu'Entre les murs se passe entre les murs, seulement entre les murs. Ceux de la salle de classe. Ceux de la salle des profs. Ceux de la salle où se tiendra un conseil de discipline.

Un moment clé que celui-là. Il est le premier germe du projet de Laurent Cantet: «Alors que la situation politique à Haïti ne nous permettait pas de commencer le tournage de Vers le Sud, je me suis mis à l'écriture d'un scénario né de l'envie de filmer le conseil de discipline, en me disant que c'était un des moments où le système scolaire se met en scène lui-même. Il y avait là, dans cette espèce de théâtre que devient la salle du conseil, tout le rapport au pouvoir, à la discipline et au savoir. C'était, selon moi, un microcosme suffisamment intéressant et signifiant pour décrire le reste de la société.»

Et puis, le tournage de Vers le Sud s'est fait. Le jour de la sortie du film, Laurent Cantet a participé à une émission de radio. Parmi les autres invités, François Bégaudeau. Venu parler de son livre Entre les murs.

«Et il en a parlé si bien que j'ai immédiatement acheté le bouquin et l'ai lu pendant la nuit qui a suivi.» La parenté entre le thème de son projet alors dormant et celui du bouquin, le huis clos qu'il envisageait et celui que l'ancien prof devenu écrivain racontait... autant de coïncidences qui l'ont attiré d'emblée.

À la lecture, il a succombé: «L'énergie que j'ai trouvée dans les dialogues ressemblait à celle que je souhaitais filmer, explique le réalisateur. Il y avait cette fulgurance de la langue adolescente, cette verve, cette intelligence éblouissante dans la façon qu'ont ces jeunes de se répondre et d'envisager les choses et, en même temps, cette impression qu'on me décrivait une situation pas très optimiste. J'aimais ce va-et-vient entre cet état décontracté et l'angoisse qui me saisissait parfois à la seule lecture.»

C'est ce qui l'a décidé à travailler à partir du livre. Pour en faire un film dont il aimerait aussi que les gens ressortent «en ayant conscience que le système scolaire est trop complexe pour être réduit à trois prises de position définitives, avec l'envie d'en parler et d'en réfléchir».

L'objectif est à ce point atteint que si Laurent Cantet était sur les bancs de l'école, il obtiendrait une étoile d'or. Couleur de la Palme qu'il a déjà reçue et d'une certaine statuette...

Entre les murs est présentement à l'affiche.

Acteurs naturels

Laurent Cantet aime nourrir les personnages de ses longs métrages de l'expérience des acteurs qu'il engage.

«C'est pour cela que je vais chercher des gens dont la trajectoire de vie est proche de ce que le film raconte», dit-il. Et c'est pour cela que, pour créer «sa» classe d'Entre les murs, il a fait appel à de véritables collégiens et à un vrai prof, François Bégaudeau (qui est aussi l'auteur du livre dont le film est inspiré).

Côté élèves, le réalisateur a organisé des ateliers d'improvisation dans un collège parisien ressemblant à celui du film. Pendant presque toute une année scolaire. Tous les mercredis après-midi.

«Ça a été une manière de tester les situations, de récolter des informations et... de faire un casting de façon naturelle: les ateliers étaient ouverts à tous, ceux qui sont restés étaient les plus motivés.»

Devant cette classe «fictive», François Bégaudeau a eu un rôle clé. «Il a participé à tous les ateliers, poursuit Laurent Cantet. Il était celui qui, de l'intérieur, organisait les thèmes, posant la question qui allait servir à lancer la discussion, donnant la parole à un tel ou à telle autre. Très vite, il n'a plus pensé à l'image qu'il donnait, il a été renvoyé à ses automatismes de prof.»

Comme les jeunes ont été renvoyés à leurs automatismes d'élèves.

Le scénario, signé Laurent Cantet, François Bégaudeau et Robin Campillo, a été écrit en parallèle à ces ateliers. D'où le naturel du résultat. Dû, d'une part, au fait que François Bégaudeau, s'il a été enseignant, a aussi été chanteur dans un groupe punk, et réalisateur de courts métrages, écrivain et critique de cinéma:

«Il a pas mal réfléchi à ce qu'est un film et a un rapport au spectacle.» Quant aux jeunes, «la caméra n'est pas un problème pour eux».

D'autant plus que Laurent Cantet a tourné en vidéo, ce qui permet de filmer en continuité pendant 25 minutes; et utilisé trois caméras:
«Donc, les gamins ne savaient jamais à quel moment ils étaient filmés et ils jouaient, vraiment, la scène du début à la fin».

Ce, dans un scénario qui est toujours demeuré «suffisamment ouvert pour autoriser l'impro et des rebondissements pas nécessairement écrits mais qui enrichissent la trame prévue».

Les acteurs naturels d'Entre les murs ont ainsi pu, aussi, jouer entre les lignes.