À la barre de Coraline, Henry Selick. À l'origine du film, le formidable roman de Neil Gaiman. Tête à tête avec l'écrivain qui a confié son univers à l'homme derrière Nightmare Before Christmas. Une excellente idée.

«Les enfants et les adultes ne vivent pas Coraline de la même manière. Les enfants y voient une aventure dans laquelle une fillette affronte bravement des dangers et sauve ses parents, ce qui est très excitant. Les adultes, eux, y voient une petite fille en danger, ce qui est très angoissant.»

Neil Gaiman parle ainsi. Avec pertinence et une profonde connaissance du sujet. Pour cause: l'auteur de la série culte Sandman et du roman de fantasy Stardust est aussi celui de Coraline. Publié en 2002, ce livre, genre d'Alice au pays des merveilles contemporain, est rapidement devenu un classique moderne de la littérature jeunesse.

On y suit ladite Coraline, qui vient d'arriver dans un nouvel appartement, avec ses parents. Très occupés, ces derniers. Trop pour l'écouter vraiment et passer du temps avec elle. Laissée à elle-même, elle passe une porte cachée qui la mène dans un monde parallèle. L'appartement y est identique mais tout y est un peu mieux que dans la réalité. Papa s'occupe de sa fille. Maman fait de l'excellente cuisine. Si seulement ils n'avaient pas es boutons noirs à la place des yeux! Et si seulement Coraline pouvait continuer à aller et venir d'un monde à l'autre à volonté! Mais l'autre mère ne l'entend pas ainsi.

Très longue pause

Cette histoire, puissante, profonde et riche, Neil Gaiman a commencé à l'écrire au début des années 90 pour la plus âgée de ses filles et l'a terminée au début des années 2000 pour la plus jeune: le temps a passé, la famille a quitté l'Angleterre pour les États-Unis et la carrière de l'écrivain a pris un tel envol qu'il a dû, pour la terminer, après une (trop) longue pause, s'y mettre soir après soir pendant deux ans, prenant pour cela le temps qu'il utilisait auparavant pour lire avant de se coucher.

Et dès qu'il a mis le point final au manuscrit, il l'a envoyé à Henry Selick. L'homme derrière Nightmare Before Christmas, dont on a peu entendu parler depuis James and the Giant Peach. C'était en 1996. «J'aime son univers, sa manière de faire de l'animation et je savais que sa technique est celle qui conviendrait le mieux à Coraline», racontait Gaiman à propos de Selick lors d'une visite éclair à Montréal (où il reviendra en août, en tant qu'un des invités d'honneur du Congrès mondial de la science-fiction).

La manière de Henry Selick, c'est l'animation image par image. Des marionnettes sont conçues, des maquettes, des décors, des accessoires. Tout est placé. Photographié. Très légèrement déplacé. Rephotographié. Et ainsi de suite. Pendant 18 mois, dans le cas de Coraline. Et ce, après deux ans de préproduction.

«L'animation permet certaines scènes plus «effrayantes» qui ne passeraient pas avec de vrais acteurs, explique l'écrivain. L'animation image par image, qui utilise des objets concrets, donne un réalisme et une densité qui ne sont pas - encore - présents dans l'animation 3D.»

Ce n'est pas tout. Henry Selick a tourné le tout en 3D stéréoscopique. Donc, à l'aide de caméras qui travaillent de la même manière que les yeux, filmant deux images planes et les combinant en une seule. «Ça lui a permis de distinguer les deux mondes où Coraline évolue», notait Neil Gaiman qui vient de recevoir la Newbery Medal (l'équivalent d'un Pulitzer pour la littérature jeunesse) pour le magistral The Graveyard Book. Lequel est déjà en voie d'adaptation cinématographique par Neil Jordan.

«J'aime bien confier mes livres à d'autres personnes. C'est un peu comme envoyer les enfants à la garderie: on choisit quelqu'un en qui l'on a confiance et on sait qu'ils vont être en sécurité et vont nous revenir en forme et bien élevés», remarque, en souriant, celui qui a signé un scénario original (MirrorMask) et l'adaptation d'un mythe (Beowulf), mais qui a préféré mettre «son» Stardust entre les mains de Jane Goldman.

Pour Coraline, il avait une confiance aveugle en Henry Selick. «Quand j'ai lu sa première version du scénario, je lui ai dit qu'il était encore trop près du roman, qu'il pouvait prendre plus de liberté avec mon texte.» Ainsi est apparu Wybie. Un garçon que rencontre Coraline. Pas pour équilibrer la distribution de bête manière un-gars-une-fille: «Dans le livre, Coraline est toujours seule et on pénètre dans ses pensées. Pour rendre ça au cinéma, il aurait fallu qu'elle se parle à elle-même ou qu'on utilise une narration. Il était plus efficace de lui donner un interlocuteur.»

Réponse à tout ou presque!

Il a réponse à tout, Neil Gaiman! Non, à presque tout. Pourquoi des boutons noirs à la place des yeux de l'autre mère et de l'autre père? «Vous savez, si j'avais une machine à voyager dans le temps, avant de partir à l'aventure dans d'autres époques, je me rendrais auprès de moi-même, il y a 20 ans. Et je me dirais: «Prête attention aux boutons noirs. Tu vas en utiliser dans une histoire et, par la suite, tu vas te faire demander presque tous les jours d'où vient cette idée. Rappelle-toi.» Parce qu'honnêtement, aujourd'hui, je n'ai aucune idée d'où ça vient.»

Et, généreusement, il donne à tous la permission d'y aller de sa propre interprétation. Gageons que là aussi, la perception sera différente entre les adultes et les enfants. C'est ce qui fait la beauté - non, la très grande beauté - de la chose. Et de l'art de Neil Gaiman.

Coraline est présentement à l'affiche.